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mardi 13 septembre 2011

La guerre morale américaine en Afghanistan

Le 1er décembre 2009, le président Barak Obama annonçait le déploiement de 30 000 soldats supplémentaires en Afghanistan :  «Je ne prends pas cette décision à la légère. Je la prends parce que je suis convaincu que notre sécurité est en jeu en Afghanistan et au Pakistan. C’est de là que nous avons été attaqués le 11 septembre 2001 et c’est là que se préparent de nouveaux attentats à l’heure où je vous parle». Et comme chef de guerre responsable, il dit à ses troupes : «Allons finir le travail». Neuf jours plus tard, Obama recevait son prix Nobel de la paix et défendait le concept de «guerre juste» en Afghanistan et au Pakistan. Mais si les ripostes des États-Unis sont considérées comme légitimes, celles de l'Afghanistan et du Pakistan sont exclusivement traitées de crimes terroristes.
La rhétorique d’Obama rappelle, bien sûr, celle de son prédécesseur Georges W. Bush qui, à la suite des attaques du 11 septembre, avait déclaré : «Nous voulons démanteler, éradiquer et vaincre ceux qui nous ont attaqués». Le 13 septembre, le secrétaire d’État de l’époque, Colin Powell, précisait : «Nous avons pensé [...] qu’il serait utile d’indiquer au leadership pakistanais [déjà] à tous les niveaux que nous attendons à recevoir leur entière collaboration...» Et le président Bush, lui qui avait déclaré que les attentats étaient des «actes de guerre», ajoutait que cet ennemi (sans le nommer) «ne pourra pas se cacher tout le temps et ses refuges ne resteront pas sûrs tout le temps». Il annonçait aussi «une lutte monumentale entre le bien et le mal», et disait-il : «le bien triomphera» (on connaît la suite). De son côté, l’attorney général John Ashcroft déclarait : «certains pirates de l’air ont suivi des cours de pilotage aux États-Unis ». Il confirmait qu'«un grand nombre des pirates de l’air avait déjà été identifié, permettant de diriger les efforts vers l’identification de complices situés aux États-Unis». Mais, jamais par la suite, nous avons entendu parler de ces fameux complices présents sur le territoire américain. Et comment ne pas avoir été  surpris devant l’efficacité soudaine des services de sécurité, eux qui pourtant n’avaient rien vu venir, rien su, rien entendu de la préparation de la plus retentissante attaque terroriste de l’histoire à laquelle pas moins de dix-neuf pirates de l’air auraient participé. Or si les attentats étaient partis du sol américain, cela n’empêcha pas le président Georges W. Bush de diriger les soupçons vers l’extérieur, et plus précisément sur Oussama ben Laden et al-Qaïda et sur le régime des talibans qui coopère avec eux, car selon lui il s’agissait d’une attaque orchestrée de l’étranger contre les États-Unis. Toutefois, aucune preuve plausible n'était présentée. De plus, le Congrès s’empressa d’adopter une loi stipulant que les États-Unis étaient «habilités à répliquer conformément au droit international (sic) ». Mais depuis quand la vengeance fait-elle partie du droit international? Quant à Ben Laden, lorsqu’il parlait en son nom propre, et non par l’entremise de la CIA, n’a-t-il pas toujours nié être responsable des attentats du 11 septembre?

Pourquoi alors, au lendemain des attentats, l’Afghanistan devenait-il l’ennemi tout désigné? Et pourquoi était-ce si facilement accepté par la communauté internationale?Rappelons que, dès le 12 septembre, l’ONU abondait dans le même sens que les États-Unis. Elle adoptait la résolution 1368 condamnant les attentats de la veille, elle réaffirmait le droit des pays à la légitime défense (sic) et elle appelait la communauté internationale à supprimer le terrorisme et à tenir responsable tous ceux qui aident ou appuient les auteurs, organisateurs et commanditaires d’actes terroristes. Que l’ONU condamne l’attaque est une chose, mais que les Américains se servent de l’ONU comme d’un paravent le temps de justifier une attaque contre l’Afghanistan sous prétexte de la légitime défense alors qu’aucune preuve de son implication n’a été produite, en est une autre. Or comment une affirmation aussi peu plausible que «le complot a été conçu en Afghanistan» a-t-elle pu être entendue par tous ou presque sans que celle-ci n’ait déjà été construite et ce bien avant le 11 septembre 2001? 

Pour répondre, il nous faut remonter à la campagne de lynchage médiatique qui a eu lieu après la prise de pouvoir des talibans en 1996, et qui a atteint un sommet en mars 2001, au moment de la destruction des Bouddhas de Bâmiyân par les talibans. Au Canada, par exemple, nombre de journalistes se considéraient comme des soldats des valeurs occidentales et rivalisaient en déclarations convenues. Ne parlait-on pas déjà d’un Afghanistan démocratique, pacifique, reconstruit et soucieux d’égalité entre les sexes? (Rappelons que l’époque où les femmes ont disposé du plus de droits, à Kaboul au moins, a été la période communiste. L’Occident, pourtant, a préféré aider les moudjahidins, les djihadistes, les talibans pour nuire aux Soviétiques). Dans ce lynchage médiatique, Radio-Canada et sa journaliste vedette Céline Galipeau - depuis promue chef d'antenne - n’ont pas été en reste dans la diabolisation du «non-civilisé» taliban. Cette campagne médiatique désignant le taliban comme hors du genre humain, niait l’humain dans un être manifestement humain. Il devenait donc licite de le supprimer. Dès lors, il est évident que tuer un taliban - et la catégorie ne cessera pas de s’agrandir - n’était plus considéré comme un crime. De plus, la présentation du taliban comme un «barbare» (le maire de Québec, Régis Labeaume, reprendra le terme en 2009) avait pour conséquence de ne pas situer la croisade sur le plan des droits humains, mais sur le plan du bien et du mal. Dans la mesure où une telle campagne de propagande utilise à chaque fois un ennemi tout prêt, elle conduit à reporter le Mal sur l’adversaire présent ou futur. Et une telle campagne suggère à la masse médiatisée que les ennemis les plus différents appartiennent à la même catégorie. Dès lors, il faut toujours mettre dans le même sac une pluralité d’adversaires les plus variés : les talibans, les moudjahidins, les djihadistes, les islamistes, bien sûr, mais aussi les nationalistes comme les Pachtounes qui sont la majorité dans les rangs «talibans», les Palestiniens, les Irakiens, les Serbes, etc. Et il faut y ajouter une liste de noms symbolisant le mal : Slobodan Milosevic, Jean-Bertrand Aristide, Ben Laden, Saddam Hussein, Mahmoud Ahmadinedjab, et plus récemment Mouammar Kadhafi, etc. Tout cela pourquoi? Pour qu’il semble à la masse médiatisée occidentale que la lutte est menée contre un seul ennemi (et peu importe le nom : goulag, dictature, terrorisme, islamisme, etc.). Cela ne fortifie-t-il pas d'ailleurs sa foi dans son propre droit et n’augmente-t-il pas son indignation contre ceux qui sont tombés du mauvais côté de l’ordre mondial? Ainsi, cette masse médiatisée, symbole «du village global» cher à McLuhan, n’aura connaissance des talibans, devenus des monstres, qu’à travers ces reportages (commandités?) de journalistes occidentaux et affiliés, lesquels cautionneront et légitimeront l’attaque américaine de l’Afghanistan en défense du Bien. La «guerre juste» n'a même plus besoin de se légitimer juridiquement puisqu'elle se fait légitimer à l'avance par les médias.

Dix ans après le 11 septembre 2001, on se pose encore la question : n’a-t-il pas été autre chose que la fabrication d’une justification d’opérations déjà planifiées en Afghanistan et au Pakistan?