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jeudi 8 décembre 2016

La Cour juge que la présence de Dieu n’est pas discriminatoire

La Cour suprême du Canada
Le jugement de la Cour suprême du Canada (du 15 avril 2015) contre la Cour d’appel du Québec concernant la pratique des membres du conseil municipal de la Ville de Saguenay qui consiste à réciter une prière au début de chaque réunion du conseil concluait que la Cour d’appel a erré face à l’ensemble des conclusions du Tribunal des droits de la personne du Québec. « Elle ne pouvait se contenter de substituer son opinion [sic] à celle du Tribunal sans, d’abord, déterminer en quoi ces conclusions étaient déraisonnables. Elle ne l’a pas fait. » Une intervention s’imposait afin de rétablir le jugement du Tribunal à ce chapitre. En l’espèce, la conclusion du Tribunal voulant qu’il y ait « une atteinte discriminatoire à la liberté de conscience et de religion [sic] d’Alain Simoneau au sens des articles 3 et 10 de la Charte québécoise est raisonnable ». La récitation de la prière aux séances du conseil constitue avant tout une utilisation des pouvoirs publics par le conseil dans le but de manifester et de professer une religion à l’exclusion des autres. En raison de la preuve au dossier, le Tribunal pouvait raisonnablement conclure que la prière de la Ville est en réalité une pratique dont le caractère est religieux. C’est aussi la conclusion de la Cour suprême. 


Résumer de l’affaire

Les intimés, la Ville de Saguenay et son maire Jean Tremblay désirent continuer la récitation d’une prière au début des séances publiques du conseil municipal. Pour eux, il en va du respect de leur liberté de conscience et de religion. Les appelants, le Mouvement laïque québécois (MLQ) et Alain Simoneau demandent plutôt qu’ils cessent cette pratique qui, selon eux, attente de façon discriminatoire à la liberté de conscience de ce dernier. Ils exigent que la Ville et son représentant respectent l’obligation de neutralité qui incombe à l’État. Au début de chaque séance, le maire Jean Tremblay récite une prière, qu’il précède et termine d’un signe de croix accompagné des mots « au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ». 
La prière se dit ainsi : « Dieu tout puissant, nous Te remercions des nombreuses grâces que Tu as accordées à Saguenay et à ses citoyens, dont la liberté, les possibilités d’épanouissement et la paix. Guide-nous dans nos délibérations à titre de membre du conseil municipal et aide-nous à bien prendre conscience de nos devoirs et responsabilités. Accorde-nous la sagesse, les connaissances et la compréhension qui nous permettront de préserver les avantages dont jouit notre ville afin que tous puissent en profiter et que nous puissions prendre de sages décisions. Amen. » 
D’autres conseillers et représentants de la Ville font aussi un signe de croix au début et à la fin de la prière. Une statue du Sacré-Cœur, ornée d’un lampion rouge électrique, est placée dans l’une des salles du conseil. Un crucifix est accroché au mur d’une autre. M. Simoneau, qui se dit athée, ressent un malaise face à ces manifestations qu’il estime religieuses et demande au maire de cesser ces pratiques. Devant son refus, il porte plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Il soutient que sa liberté de conscience est brimée, en violation des articles 3 et 10 de la Charte québécoise. Il réclame que cesse la récitation de la prière et demande de retirer des salles du conseil tout symbole religieux. La Commission n’enquête que sur le caractère discriminatoire de la prière. Elle juge que la preuve est suffisante pour soumettre le litige au Tribunal des droits de la personne, mais ne le fait pas elle-même, puisque le Tribunal a récemment tranché une affaire similaire et parce qu’elle estime que M. Simoneau est à même de faire valoir seul ses droits individuels. 

Le Tribunal des droits de la personne
M. Simoneau intente alors son propre recours devant le Tribunal des droits de la personne, avec l’appui du Mouvement laïque québécois (MLQ). La Ville adopte par la suite un règlement qui vise à encadrer la récitation de la prière, à en modifier le texte et à prévoir un délai de deux minutes entre la fin de la prière et l’ouverture officielle des séances du conseil. Le comportement du maire et des conseillers demeure toutefois identique, et M. Simoneau et le MLQ amendent leur requête pour demander au Tribunal de déclarer le règlement inopérant et sans effet à l’égard de M. Simoneau. Le Tribunal accueille le recours et conclut que, analysée dans son contexte, la prière a un caractère religieux et que, par sa récitation, la Ville et son maire favorisent une croyance religieuse au détriment des autres, ce qui contrevient à l’obligation de neutralité de l’État. Deux, que la prière et l’exposition de symboles religieux engendrent une atteinte à la liberté de conscience et de religion de M. Simoneau et que cette atteinte est discriminatoire. Il déclare le règlement inopérant et sans effet, ordonne à la Ville et au maire de cesser la récitation de la prière, leur enjoint de retirer tout symbole religieux des enceintes où se tiennent les séances du conseil. 

La Cour d’appel du Québec
Mais l’affaire ne se termine pas là. La Cour d’appel du Québec accueille l’appel de la Ville et son maire. Elle estime que la question de la neutralité religieuse de l’État est une question d’importance pour le système juridique. La Cour, ne se laissant pas abuser par de fausses apparences religieuses, elle juge que la prière en cause exprime des valeurs universelles et ne s’identifie à aucune religion particulière, et que les symboles religieux sont des objets d’art dépouillés de connotation religieuse qui n’interfèrent pas avec la neutralité de l’État. Cette conclusion surprenante tient au fait que la Cour choisit d’adopter purement et simplement le point de vue des experts des appelants contre l’expert des intimés qu’elle juge trop laïque. Elle dénonce sa vision « absolutiste » de la laïcité de l’État. Pour la Cour, le Tribunal a omis d’évaluer la crédibilité de Daniel Baril comme expert, alors que plusieurs éléments permettaient d’interroger son indépendance et son impartialité, notamment ses liens avec le Mouvement laïque québécois (MLQ), dont il est cofondateur et membre. En raison de ce lien et de ses prises de position antérieures, elle conclut que M. Baril « ne répond pas aux exigences d’objectivité et d’impartialité indispensables au statut d’expert appelé à témoigner devant une cour de justice ». Le juge Gagnon critique le Tribunal pour son omission de se livrer « à l’étude des causes de récusation du témoin Baril », qu’il considère en définitive comme « inhabile » à témoigner. Monsieur Baril est l’un des fondateurs du Mouvement laïque québécois, dont il a été président. Au moment du procès, il en est vice-président. Pour finir la Cour d’appel reproche au Tribunal d’avoir choisi « d’adhérer purement et simplement à la théorie de M. Baril » qui se décrit comme étant notamment un militant pour la laïcité qu’il définit sur la base de deux principes : la liberté de conscience et la séparation de l’Église et de l’État.
Mais la Cour d’appel ne s’arrête pas là. Écarter M. Baril ne lui suffit pas. Elle écarte aussi les gestes et les attitudes associés au catholicisme de M. le maire et plus tard ses déclarations publiques intempestives concernant sa foi sous le prétexte que l’enquête de la Commission portait essentiellement sur la question de la prière et que les intimés ont tentés d’utiliser l’attitude et le comportement de M. le maire pour en définir la portée réelle. La Cour exclut donc cette approche de son analyse au motif qu’elle la trouvait empreinte de trop de subjectivité, voire d’émotivité, préférant s’en tenir à l’opinion des témoins experts Solange Lefebvre et Gilles Bibeau. Le contexte fait voir que M. le maire se présente devant l’assemblée et lit une prière d’environ vingt secondes, et ce, avant que le conseil ne commence officiellement ses délibérations. En ce sens, décortiquer la prière n’est guère pertinent dans ce contexte. Interpréter l’attachement à une prière comme témoignant de la soumission à un être supérieur est abusive car elle ne tient pas compte de ce qu’on appelle la modernité religieuse à savoir : la création du sens par les individus eux-mêmes nous dit madame Lefebvre. « C’est qu’il s’agit en tout premier lieu de la prière des conseillers et non de la prière des citoyens. D’autre part, qu’il ne s’agit pas d’une prière convenant uniquement aux chrétiens. Elle s’inscrit dans une modernité théiste, qui appréhende un être supérieur comme référence et fondement des états libres et démocratiques. La fonction majeure de la nouvelle prière me paraît être de solenniser l’ouverture de l’assemblée, et de rappeler les grands idéaux moraux d’une gouvernance. » Quant à monsieur Bibeau, « il conclut que la prière prononcée convient à un grand nombre de religions et est récitée dans un contexte qui ne se qualifie pas comme un rituel et encore moins un rituel identitaire. » La Cour d’appel retient de l’opinion de ces experts que les valeurs exprimées par la prière litigieuse sont universelles et qu’elles ne s’identifient à aucune religion en particulier. La Cour constate que la prière de la Ville de Saguenay s’inspire à quelques mots près de la prière récitée par le Président de la Chambre des communes à l’ouverture de la session parlementaire, alors que les portes de l’enceinte demeurent encore fermées au public : 
« Dieu tout-puissant, nous te remercions des nombreuses grâces que tu as accordées au Canada et à ses citoyens, dont la liberté, les possibilités d'épanouissement et la paix. Nous te prions pour notre Souveraine, la Reine Elizabeth, et le Gouverneur général. Guide-nous dans nos délibérations à titre de députés et aide-nous à bien prendre conscience de nos devoirs et responsabilités. Accorde-nous la sagesse, les connaissances et la compréhension qui nous permettront de préserver les faveurs dont jouit notre pays afin que tous puissent en profiter, ainsi que de faire de bonnes lois et de prendre de sages décisions. Amen. » 
À cela s’ajoute le préambule de la Charte canadienne qui affirme « que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit ». L’exemple vient de haut ! La Cour d’appel se sent légitimée d’imposer à nouveau la prière au conseil de Ville. Mais il faut tout un cheminement particulier du droit pour passer de la neutralité religieuse de l’État à la neutralité transconfessionnelle de la prière. Les intimés (pour nous les appelants) insistent sur le caractère non confessionnel de la prière. Selon eux, cela en fait une pratique inclusive qui ne favorise ou ne défavorise aucune religion et qui, partant, ne peut attenter à la liberté de conscience et de religion de quiconque. Là encore, la Cour d’appel abonde dans le même sens. Une personne raisonnable, bien renseignée et consciente des valeurs implicites qui sous-tendent ce concept ne pourrait en l’espèce accepter l’idée que l’activité étatique de la Ville, du fait de cette prière, était sous une influence religieuse particulière. À partir de ce qui précède, la prière ne peut constituer par sa teneur une atteinte à la neutralité de la Ville. Et si l’on devait convenir avec M. Simoneau que sa récitation constituait une entrave allant à l’encontre de ses valeurs morales, il faudrait alors déterminer si cet empêchement est suffisant pour constituer une atteinte discriminatoire aux libertés de conscience et de religion garanties par la Charte québécoise. Alain Simoneau le principal plaignant dans ce dossier rétorque que, même si la prière de la Ville est apparemment neutre sur le plan confessionnel, on ne peut pour autant le contraindre à abdiquer ses valeurs morales en le forçant à embrasser une conception reconnaissant une forme de suprématie divine. Est-ce que ce concept dans son sens large signifie que toute référence à des normes de conduite d’origine morale doit être en rupture avec les repères historiques d’une société, y incluant ses traditions religieuses ? La Cour ne le croit pas. Tout d’abord, il existe des indications sérieuses qui permettent d’écarter la thèse de la laïcité tous azimuts (sic). La liberté de religion est une valeur fondamentale protégée tant par la Charte québécoise que par la Charte canadienne. Or, cette dernière prévoit que son interprétation « doit concorder avec l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens ». Par cette mention, il n’est pas ici question de soutenir que ces mots constituent une limite implicite à la liberté de conscience, bien au contraire. Toutefois, tout comme le préambule de la Charte canadienne, la prière en cause fait référence à une divinité monothéiste. De ce point de vue, il est difficile de soutenir que le récit d’une prière s’inspirant d’un des principes fondamentaux de la Constitution pourrait tout de même violer les droits de M. Simoneau. La Cour accepte la proposition des appelants selon laquelle, « même si certains se disaient brimés par cette introduction contenue à la Charte canadienne, il s’agit là d’un principe qui, d’un point de vue constitutionnel, est inattaquable ». 

La discrimination selon la Cour du Québec
La Cour conclut que la prière récitée par M. le maire et les deux signes religieux en cause, lorsque replacés dans leur contexte, ne démontrent pas que le conseil municipal est sous l’influence d’une religion ou qu’il tente d’en imposer une. Et même s’il y avait eu la preuve d’une forme de coercition exercée contre les convictions morales de M. Simoneau, celle-ci n’entravait pas de manière plus que négligeable ou insignifiante sa capacité d’agir en conformité avec ses principes de vie. Il n’a pas été démontré que M. Simoneau a été l’objet d’une distinction contrevenant aux principes de l’égalité réelle. De toute manière, la démonstration d’un préjudice est ici inexistante. Son droit à l’égalité réelle n’a pas été violé puisqu’on ne lui a pas imposé une situation créant un « désavantage injuste et répréhensible » l’ayant empêché de profiter des mêmes avantages que les autres citoyens qui ont assisté en même temps que lui aux réunions publiques du conseil. M. Simoneau invoque bien quelques irritants qu’il élève au rang de préjudices, mais ses arguments ne résistent pas à l’analyse. Il est évident que, en dépit de son côté réservé, M. Simoneau a choisi de porter sur la place publique la question de la prière et celle des signes religieux. Il a choisi au nom de ses idéaux de renoncer à cette réserve et il ne peut aujourd’hui se plaindre de ses effets. En conclusion, la Cour répondant au Tribunal des droits de la personne ne croit pas qu’une « personne raisonnable, objective et bien informée des circonstances, dotée d’attributs semblables et se trouvant dans une situation semblable à celle de M. Simoneau » (c’est-à-dire areligieux) conviendrait que les éléments en litige se sont avérés être préjudiciables à son égard ou qu’ils ont eu « pour effet de détruire ou compromettre ses droits ». En somme, objectivement, il n’existe pas de conflit véritable entre les convictions morales de M. Simoneau et les manifestations dénoncées.

La Cour suprême du Canada
Suite au pourvoi déposé par M. Simoneau et le Mouvement laïque québécois (MLQ) contre ce jugement défavorable et sa recevabilité par la Cour suprême du Canada les intimés re-deviennent les appelants. Cette recevabilité annonce un retour du balancier vers le jugement du Tribunal des droits de la personne, et vient réaffirmer le caractère discriminatoire de la prière. Le Tribunal avait conclu que la récitation de cette prière viole l’obligation de neutralité de l’État et porte atteinte, de façon discriminatoire, à la liberté de conscience et de religion (sic) d’Alain Simoneau. La Cour suprême juge d’emblée que la Cour d’appel du Québec a erré (c’est comme cela qui se parle entre Cours) lorsqu’elle a soutenu que la prière est non confessionnelle et foncièrement inclusive. La prière est récitée par le maire et les conseillers municipaux lors des séances publiques du conseil municipal. Il ne fait aucun doute qu’ils sont alors dans l’exercice de leurs fonctions. Le Tribunal fait ressortir la finalité religieuse de la démarche et juge que la Ville affiche, véhicule et favorise une croyance à l’exclusion des autres. Compte tenu du caractère religieux de la pratique, l’affirmation de la Cour d’appel voulant que la Ville ne soit pas sous influence religieuse ou qu’elle ne tente pas d’imposer sa foi contredit directement cette conclusion, qui est pourtant loin d’être déraisonnable. Selon la Cour, le Tribunal pouvait conclure que, vu son caractère religieux, la pratique de la municipalité contrevient au devoir de neutralité de l’État et engendre une exclusion fondée sur la religion. La preuve a établi que les représentants de l’État pendant qu’ils sont dans l’exercice de leurs fonctions se livrent à une pratique par laquelle l’État professe, adopte et préfère une croyance à l’exclusion des autres, entendu que l’athéisme est aussi une croyance. Selon la Cour suprême, la Cour d’appel devait faire preuve de déférence envers cette évaluation des effets de la prière sur la liberté de conscience et de religion de M. Simoneau et ne pouvait écarter les conclusions du Tribunal que si elles étaient déraisonnables. 

Or, une preuve solide les étayait et la déférence imposait de ne pas intervenir à la légère à ce sujet. La Cour ajoute que, contrairement à ce que plaidèrent les intimés, s’abstenir ou empêcher le conseil municipal de réciter la prière n’équivaut pas à prendre position en faveur de l’athéisme ou de l’agnosticisme et contre les croyances religieuses. La différence, subtile, mais importante, s’illustre aisément. « Si, au lieu de réciter une prière, les représentants d’une municipalité déclaraient solennellement que les délibérations du conseil se fondent sur le déni de Dieu, cette pratique serait tout aussi inacceptable. » La neutralité requise de l’État s’oppose à une telle prise de position, qui aurait pour effet d’exclure tous ceux qui croient en l’existence d’une divinité. Bref, il existe une distinction entre l’incroyance et la neutralité réelle. Un État neutre doit respecter toutes les croyances, y compris le droit de n’en avoir aucune. Cette dernière suppose l’abstention, mais cela n’est pas une prise de position en faveur d’une perspective plutôt que d’une autre. Une telle inférence ne peut être tirée du silence de l’État. Sous ce rapport, la Cour précise que la neutralité bienveillante à laquelle se réfère la Cour d’appel cadre mal avec la notion de neutralité réelle. Telle, qu’elle est perçue par la Cour d’appel, la neutralité obligerait en l’espèce à tolérer la profession par l’État d’une croyance religieuse bien identifiée, pour des raisons de tolérance envers son histoire et sa culture. Elle juge que la neutralité n’empêche pas les « manifestations historiques de la dimension religieuse de la société québécoise qui, lorsque replacées dans une juste perspective, ne peuvent avoir pour effet de compromettre la neutralité des différents appareils de l’État ». Elle soutient que la prière s’inscrit parmi de « simples références au patrimoine religieux ». Elle soutient que la prière de la Ville est nécessairement valide, puisqu’elle est similaire à celle que récite le Président de la Chambre des communes avant les délibérations des parlementaires. En l’absence de preuve détaillée sur la pratique du Parlement et les circonstances qui la caractérisent, et sans argumentaire complet à ce sujet, il est inopportun pour la Cour de se prononcer sur sa teneur ou de l’utiliser afin de valider la prière de la Ville. Enfin, la Cour d’appel plaide que la mention de la suprématie de Dieu dans le préambule de la Charte canadienne identifie la source morale des valeurs que celle-ci protège. Selon elle, une prière qui se réfère à cette même source ne saurait, en soi, brimer la liberté de conscience et de religion de quiconque. Mais la mention de la suprématie de Dieu dans le préambule de la Charte canadienne ne saurait entraîner une interprétation de la liberté de conscience et de religion qui autoriserait l’État à professer sciemment une foi théiste. Ce préambule, y compris sa référence à l’être divin, est l’expression de la « thèse politique » sur laquelle reposent les protections qu’elle renferme. Partant, la mention du divin dans le préambule ne saurait être invoquée pour diminuer l’étendue d’une garantie explicite prévue par les chartes. 

Ensuite la Cour revient sur la discussion au sujet de l’opinion de M. Baril et sa pertinence concernant sa neutralité comme expert et sur laquelle la Cour d’appel insiste constituait en réalité un faux débat. L’expertise de M. Baril et des témoins des intimés n’avait de pertinence qu’à l’égard de la détermination du caractère religieux ou non de la prière en litige. C’est précisément à cette fin que le Tribunal la considère. L’avis de M. Baril sur le rôle de l’État en matière religieuse se rapporte aux contours de l’obligation de neutralité de l’État. Il s’agit d’une question de droit qu’il appartient aux tribunaux d’élucider. Elle se distingue de l’opinion de l’expert sur le caractère religieux et les effets discriminatoires de la prière. La prière représente bien plus que la simple expression d’une tradition culturelle. Il s’agit d’une pratique par laquelle l’État professe activement et en toute connaissance de cause une foi théiste. Ce que défend la Cour d’appel n’est pas une tradition, mais plutôt le droit de la municipalité de manifester sa propre foi. Rien n’apparaît plus en contradiction avec le devoir de neutralité de l’État. Une telle instrumentalisation des pouvoirs publics ne saurait être justifiée par la tradition. L’État, faut-il le préciser, n’a pas de liberté de croire ou de manifester une croyance ; le respect de son obligation de neutralité n’implique pas d’exercice de conciliation des droits. Par contre, il va de soi que les représentants de l’État, lorsqu’ils n’agissent pas en cette qualité, ne sont pas tenus aux mêmes restrictions au regard de leur propre liberté de conscience et de religion. Si ces représentants n’ont pas le droit d’user des pouvoirs publics de façon à professer leur croyance, cette conclusion n’affecte pas par ailleurs leur droit à cette liberté à titre personnel. La prière récitée par le conseil municipal en violation du devoir de neutralité de l’État engendre distinction, exclusion et préférence fondée sur la religion qui, conjuguée aux circonstances entourant sa récitation, fait des séances publiques du conseil municipal un espace préférentiel favorisant les croyants théistes. Ces derniers peuvent participer à la démocratie municipale dans un environnement favorable à l’expression de leurs croyances, alors que si les incroyants peuvent eux aussi participer, c’est au prix de l’isolement, de l’exclusion et de la stigmatisation. Cela compromet le droit de M. Simoneau à l’exercice de sa liberté de conscience et de religion. Une telle entrave constitue une atteinte à la liberté de conscience et de religion du plaignant Alain Simoneau. En conclusion, le Règlement et la pratique de la Ville concernant la prière contreviennent à l’obligation de neutralité religieuse de l’État. Les conclusions factuelles du Tribunal sur le caractère religieux et discriminatoire de ce Règlement et de cette pratique n’étaient pas déraisonnables, bien au contraire. La Cour d’appel ne pouvait donc se contenter de substituer son opinion à celle du Tribunal sans, d’abord, déterminer en quoi ces conclusions étaient déraisonnables. Elle ne l’a pas fait. Un appel s’imposait afin de rétablir le jugement du Tribunal.

Discussion critique
D’un point de vue strictement juridique, la neutralité de l’État est fondée sur la religion et non sur la laïcité. Le Tribunal des droits de la personne est clair : « la neutralité de l’État découle de la liberté de religion. La liberté de religion est protégée par la Charte (québécoise) des droits et libertés de la personne : l’article 3 garantit les libertés fondamentales, dont la liberté de conscience et de religion, et l’article 10 interdit la discrimination fondée sur la religion. C’est de ces articles que découle le principe de la neutralité de l’État ». Garantir et protéger la liberté de conscience revient à garantir et à protéger la liberté de religion, non à reconnaître, à l’évidence, l’existence juridique d’une liberté laïque faisant partie des libertés fondamentales. Car à l’inverse du principe de la liberté laïque, la notion de neutralité de l’État n’induit pas la reconnaissance d’une liberté libre de toute suprématie divine. Au contraire, cette neutralité de l’État se conçoit, paradoxalement, dans un cadre qui ne peut être que religieux. Elle dérive dans les jugements de cette coordination systématique entre la liberté de conscience et (la liberté) de religion qu’on retrouve précisément à l’article 2 de la Charte canadienne. Cependant cela ne justifie en rien que le Tribunal se référant à l’article 3 de la Charte québécoise cite à sa place l’article 2 de la Charte canadienne. D’autant plus que les deux articles des deux Chartes concurrentes ne sont pas exactement synonymes. À l’article 3 de la Charte québécoise, on peut lire : « Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association. » Toutes les libertés se retrouvent dans le même article, aucune n’est subordonnée à une autre, il n’y a aucune hiérarchie interne entre les libertés coordonnées. Alors que dans la Charte canadienne à l’article 2 les libertés sont hiérarchisées : « a) liberté de conscience et de religion ; b) liberté de pensée, de croyance, etc. » Le résultat de la substitution est que la liberté de conscience laïque de M. Simoneau (car c’est de cela qu’on parle) est limitée par la liberté de religion dans le sens où celle-ci désamorce la charge critique de l’athéisme envers, non pas, tant les religions, mais plus profondément envers toute conception reconnaissant une forme de suprématie divine. L’embêtant, c’est qu’accouplée à la liberté de religion, la liberté de conscience de M. Simoneau tombe en religion. Pour ce qui est de cet accouplement, voici trois citations pertinentes tirées du jugement de la Cour suprême : « La prière a pour effet de compromettre le droit de M. Simoneau à l’exercice, en pleine égalité, de sa liberté de conscience et de religion. » La seconde qu’il nous faut citer entière : « La prière récitée par le conseil municipal en violation du devoir de neutralité de l’État engendre une distinction, exclusion et préférence fondée sur la religion, soit l’athéisme sincère de M. Simoneau qui, conjuguée aux circonstances entourant sa récitation, fait des séances un espace préférentiel favorisant les croyants théistes. Ces derniers peuvent participer à la démocratie municipale dans un environnement favorable à l’expression de leurs croyances, alors que si les incroyants peuvent eux aussi participer, c’est au prix de l’isolement, de l’exclusion et de la stigmatisation. Cela compromet le droit de M. Simoneau à l’exercice de sa liberté de conscience et de religion. » Et la troisième : « M. Simoneau  soutient que sa liberté de conscience et de religion est brimée. Il réclame que cesse la récitation de la prière. Il demande aussi de retirer des salles du conseil tout symbole religieux, dont la statue et le crucifix. »  
Il porte donc plainte auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, médiation juridique oblige. Le principe est que seul l’individu est titulaire de droits et seul l’individu peut les revendiquer et les porter. Ce qui oblige M. Simoneau a justifié son athéisme en marquant son attachement à un système donné de pensée au sein de sa pensée individuelle. La conscience est une identité individuelle mais ne peut, assurément, faire abstraction de ces dimensions particulières à la fois à caractère personnel et d’évolution sociétale. Par exemple, au Québec dans les années 60, il y a eu ce qu’on a appelé la Révolution tranquille qui pour l’essentiel, hormis l’affirmation collective des francophones, a mis fin à l’État confessionnel et a vu la mise en place d’une véritable séparation de l’Église catholique et de l’État, mais sans pour autant que l’athéisme soit réellement admis. Si la plainte de M. Simoneau est bien individuelle, elle s’inscrit tout de même dans l’histoire du Québec de par son objet : mettre fin à la récitation de la prière et retirer des salles du conseil tout symbole religieux perpétuant des vestiges de l’avant-Révolution tranquille. Sa plainte poursuit, contre son environnement social et culturel (tout au moins au Saguenay), le mouvement de déchristianisation du Québec, et comble de l’ironie, soutenu en cela par la Cour suprême du Canada et sa Charte. À cet égard, le contraste entre le jugement de la Cour d’appel du Québec et celui de la Cour suprême du Canada est saisissant. Dans le jugement de la Cour d’appel on parle d’athéisme, de distinguer la laïcité intégrale, de la laïcité ouverte, on dénonce la vision « absolutiste » de la laïcité de l’État par M. Simoneau. On parle de la tentative d’accommodement qui consiste à allouer à ceux qui préfèrent ne pas assister à la prière, le temps requis pour réintégrer la salle du conseil. On parle que le gouvernement doit protéger le patrimoine culturel, et conserver le patrimoine religieux. Mais la simple reconnaissance de la dimension religieuse de l’histoire du Québec n’équivaut pas à un héritage qui vise à discriminer les non-chrétiens ou les non-théistes selon la Cour qui conclue que « même s’il y avait eu la preuve d’une forme de coercition exercée contre les convictions morales de M. Simoneau, celle-ci n’entravait pas de manière plus que négligeable ou insignifiante sa capacité d’agir en conformité avec ses principes de vie », c’est-à-dire ses principes laïques. Mais dès l’instant que M. Simoneau se déclare publiquement athée et fait un usage public de sa propre conscience et en appel aux droits de la personne propre à l’individu contre la présence religieuse au conseil (mentionnons que sans cette plainte individuelle la récitation de la prière peut continuer en toute impunité), cela créé les conditions d’une neutralité laïque de l’État qui se présente comme une remise en cause du catholicisme en tant que religion historiquement déterminée au Québec. Ce qui va pousser la Cour d’appel du Québec de par sa position (elle vient après le jugement du Tribunal et précède celui de la Cour suprême) à devoir juger « objectivement » en les réfutant, la neutralité laïque de l’État et la neutralité religieuse de l’État et en leur superposant une neutralité bienveillante.
La Cour d’appel du Québec accueille l’appel de la Ville et son maire (appelants/intimés) contre une décision du Tribunal des droits de la personne favorable aux demandeurs, le mouvement laïque québécois et Alain Simoneau (intimés/appelants). Le changement d’appelants change le motif de la plainte ; l’appel n’est plus tourné vers l’individu, ses droits individuels, et la neutralité de l’État, mais en direction du collectif et son contexte culturel et religieux stable. Ce changement amène la Cour à adopter l’idée de la neutralité bienveillante de l’État — à savoir un État qui n’entrave pas ou alors de manière plus que négligeable la capacité d’agir des individus en conformité avec leurs principes de vie. L’État du Québec peut et doit (selon les appelants) encourager les individus à adopter des valeurs en fonction de la conformité aux pratiques existantes et décourager les valeurs qui entrent en conflit avec celles-ci. Du reste, il serait déconcertant d’affirmer que ces valeurs devraient être soumises au jugement éventuellement négatif des individus. Car pour la Cour d’appel il s’agit de savoir si un individu isolé, dans ce cas si M. Simoneau, peut remettre en question et éventuellement modifier le contenu de ces valeurs. Toutefois se sens des valeurs collectives est en partie victime de l’adoption d’un régime juridique fondée sur la neutralité religieuse de l’État, laquelle renforce l’affirmation individuelle à l’égard de ces valeurs collectives. Alors que la neutralité bienveillante de l’État soutient cette identification avec le contenu de ces valeurs pour des raisons de tolérance envers son histoire et sa culture, le modèle des droits de la personne s’accorde tout à fait avec un individu isolé de son environnement social et culturel qui l’amène à concevoir sa « souveraineté » comme celle d’un individu détenteur de droits et désireux de se soustraire aux pratiques collectives au nom de ses droits individuels. Cette neutralité bienveillante par rapport, appelons-la, une justice individualiste, se traduit par une allergie à se soumettre aux exigences de la neutralité religieuse de l’État dérivant de la Charte canadienne qui, rappelons-le, le Québec N’A JAMAIS SIGNÉ. Pour la Cour d’appel et les appelants, la « neutralité de l’État » c’est sa nécessaire tolérance vis-à-vis des religions. C’est une combinaison de tolérance et de religion d’État. Ils soutiennent à ce sujet que la neutralité bienveillante permet de tolérer un État « un peu religieux », dans la mesure où celui-ci s’assure que l’exercice du pouvoir continu d’être séparé des institutions religieuses. 
En matière de neutralité religieuse, la neutralité bienveillante prend donc appui sur la tradition religieuse, ouverte à certains particularismes religieux non envahissants et raisonnables. Sa perpétuation suppose le maintien de certains symboles religieux de nature patrimoniale dans les institutions publiques. Un de ces symboles dans la sphère publique est la récitation de la prière notamment dans de nombreuses municipalités où ce rite est toujours pratiqué. Dans les différentes assemblées municipales, la prière vise à solenniser l’ouverture de l’assemblée, à rappeler les valeurs qui sous-tendent la gouvernance et à maintenir une tradition qui les rattache à cette filiation traditionnelle dans le temps. Elle vise à promouvoir la tolérance et l’ouverture à l’égard de la divergence, et non à exclure de la réalité d’une société toute référence à son histoire (fût-elle) religieuse. Cette pratique très générale, non confessionnelle, nous plonge au cœur même de la notion juridique de la neutralité de la prière, de la non-confessionnalité de cette dernière. Cela amène la Cour d’appel du Québec (à l’instar des appelants) à conclure que « les valeurs exprimées par la prière litigieuse sont universelles et n’appartiennent à aucune religion en particulier ». L’enjeu s’est ainsi déplacé, d’une prière convenant uniquement aux chrétiens et jugée discriminatoire nous sommes passés à une prière non confessionnelle ouverte à tous les points de vue. Sous l’éclairage de cette prière d’ouverture, la Cour en appelle à la jurisprudence canadienne et invoque deux jugements ontariens. Dans le premier, l’arrêt Freitag, la Cour d’appel de l’Ontario a jugé qu’une prière chrétienne récitée à l’ouverture des séances publiques du conseil municipal contrevenait à la liberté de conscience et de religion d’un citoyen non chrétien. Mais en obiter, elle laisse entendre qu’elle aurait déclaré valide une prière qui aurait été non confessionnelle. De plus, elle laisse clairement entendre (dans un obiter de la juge Feldman) qu’une prière théiste, similaire à celle prononcée par la Chambre des communes, respecterait la Charte canadienne, parce que justifiable au sens de son article premier. Dans le second, l’arrêt Renfrew, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a reconnu la validité d’une prière qu’elle a qualifiée de non confessionnelle. On cite : « Dans sa forme actuelle, la prière ne constitue pas réellement une pratique religieuse, coercitive ou autre, et elle n’impose pas au demandeur de fardeau ou de contrainte relativement à l’exercice de ses propres croyances. La simple mention de Dieu dans la prière en question n’a pas, de l’avis de notre cour, d’effets suffisants sur le demandeur pour entraîner une entrave appréciable à ses croyances religieuses. » (Traduction de la Cour suprême). 
Quant à la prière elle se dit ainsi :
« Dieu tout-puissant, nous rendons grâce pour les grandes bénédictions qui ont été accordées au Canada et à ses citoyens, y compris les dons de la liberté, les possibilités et la paix dont nous jouissons. Guide-nous dans nos délibérations et renforcez-nous dans notre conscience de nos devoirs et responsabilités. Accorde-nous la sagesse, la connaissance et la compréhension pour préserver les bienfaits de ce pays au bénéfice de tous et faire de bonnes lois et prendre de sages décisions. Amen. » (Traduction libre.)
La Cour d’appel du Québec note que cette prière comporte d’importantes similitudes avec celle de la Ville de Saguenay. Elle note aussi que l’expert (le Dr Gualtieri) entendu dans l’affaire Renfrew, tout en se disant d’avis que cette prière était de nature religieuse, acquiesce : 
« Pour les besoins actuels, il suffit de reconnaître que lorsque le Conseil du comté de Renfrew précise que sa prière d’ouverture est non sectaire, cela signifie qu’elle ne prend aucun parti sur la valeur de vérité d’une religion particulière, mais utilise plutôt une formulation d’un tel niveau de généralité qu’elle englobe toutes les religions. Puisque la prière est considérée comme ne privilégiant aucune position particulière de foi, elle est donc appropriée dans une société pluraliste avec un certain nombre de traditions religieuses diverses et son utilisation ne porte aucune discrimination envers quiconque. » (Traduction libre.)
Sous l’éclairage de cette preuve, le juge Hackland écrit : 
« Avec le respect dû à l’argument de la requérante, je n’accepte pas la proposition que la simple mention de Dieu dans une prière lors d’une réunion gouvernementale accompagnée de l’implication que Dieu est la source des valeurs visées par la prière, peut être considérée comme un effort coercitif pour contraindre l’observance religieuse. La prière actuelle est largement inclusive et non confessionnelle, même si la référence à Dieu ne concorde pas avec les croyances de certains groupes minoritaires. Dans une société pluraliste, les valeurs religieuses, morales ou culturelles mises de l’avant dans un contexte de gouvernement public ne peuvent pas toujours s’attendre à rencontrer l’acceptation universelle. » (Traduction libre.) 
Néanmoins le juge continue sa réflexion pour se demander si cette prière impose une pratique religieuse à celui qui adhère à une doctrine humaniste réfutant l’existence d’une puissance divine. Il répond à cette question de la manière suivante : 
« La prière dans sa forme actuelle n’est pas, en substance, une pratique religieuse, coercitive ou autre, et elle n’impose pas au demandeur de fardeau ni de restriction à l’exercice de ses propres croyances. Le récit de cette prière ne contraint pas le demandeur, à la différence de l’arrêt Freitag, de participer à une forme confessionnelle chrétienne ou à toute autre forme de culte. La simple mention de Dieu dans la prière en question n’est pas de l’avis de la Cour suffisante dans son effet sur le demandeur pour interférer de manière importante avec ses croyances religieuses. » (Traduction libre.)
Le problème proprement juridique n’est donc pas dans la récitation d’une prière s’adressant à Dieu, mais est-elle confessionnelle ou pas ? La prière peut être reconnue comme religieuse, mais être néanmoins déclarée non confessionnelle, car non coercitive. Contrairement à la prière ouvertement chrétienne comme dans l’arrêt Freitag ou comme celle récitée par le maire Tremblay selon le Tribunal et confirmée par la Cour suprême, mais contestée cependant par la Cour d’appel qui s’appuie, nous venons de le voir, sur la jurisprudence canadienne laquelle s’appuie sur la prière récitée par le Président de la Chambre des communes à l’ouverture de la session parlementaire, alors que les portes de l’enceinte demeurent encore fermées au public : 
« Dieu tout-puissant, nous te remercions des nombreuses grâces que tu as accordées au Canada et à ses citoyens, dont la liberté, les possibilités d’épanouissement et la paix. Nous te prions pour notre Souveraine, la Reine Elizabeth, et le Gouverneur général. Guide-nous dans nos délibérations à titre de députés et aide-nous à bien prendre conscience de nos devoirs et responsabilités. Accorde-nous la sagesse, les connaissances et la compréhension qui nous permettront de préserver les faveurs dont jouit notre pays afin que tous puissent en profiter, ainsi que de faire de bonnes lois et de prendre de sages décisions. Amen. »
Rapprochons maintenant celle prononcée au conseil de la Ville de Saguenay : 
« Dieu tout puissant, nous Te remercions des nombreuses grâces que Tu as accordées à Saguenay et à ses citoyens, dont la liberté, les possibilités d’épanouissement et la paix. Guide-nous dans nos délibérations à titre de membre du conseil municipal et aide-nous à bien prendre conscience de nos devoirs et responsabilités. Accorde-nous la sagesse, les connaissances et la compréhension qui nous permettront de préserver les avantages dont jouit notre ville afin que tous puissent en profiter et que nous puissions prendre de sages décisions. Amen. »
On est amène de constater que cette dernière s’inspire fortement de la prière récitée par le Président de la Chambre des communes et ce fait pousse la Cour d’appel à soutenir que la prière de la Ville de Saguenay est nécessairement valide. Mais cela n’empêche pas la Cour suprême avec une mauvaise foi évidente d’écrire que, « dans le contexte particulier de ce pourvoi, cet argument ne peut être retenu pour trois raisons. Premièrement, nous ne disposons d’aucune preuve sur l’objet de la prière de la Chambre des communes. Deuxièmement, les circonstances entourant la récitation des deux prières diffèrent. Troisièmement, il est possible que la prière de la Chambre soit soumise au privilège parlementaire ». Ces trois raisons sont assurément valides, mais quand la Cour d’appel du Québec cite la prière de la Chambre, puis fait le rapprochement avec celle du Conseil du comté de Renfrew et celle au Saguenay, c’est pour dire que ramenée simplement au texte la prière de la Ville de Saguenay est non confessionnelle. Mais il reste que les agissements du maire et des conseillers et le contexte de la récitation de la prière sont au cœur du pourvoi. Ces agissements montrent que la prière se veut un appui de la Ville à la religion catholique que préconisent individuellement les membres du conseil. Ils suivent un rituel révélateur de son caractère véritable. Au début de chaque séance publique du conseil municipal, ses membres font leur entrée dans la salle suivant l’appel de leur nom respectif. Le maire et les conseillers de la Ville se tiennent ensuite debout pour la récitation de la prière. Le maire et plusieurs conseillers font un signe de croix pendant que le premier prononce au micro la formule « au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ». Il récite ensuite la prière, qui se termine par la même formule, en plus du mot « amen ». Ce qui est retenu ce n’est pas la prière comme telle, mais bien ce qui l’entoure soit son caractère catholique revendiquer au nom de la liberté religieuse. Du reste, le maire Tremblay dans son excès ne dit-il pas que la liberté de religion n’est rien sans la liberté de communiquer sa foi ? Le lieu de la foi n’est pas dans le secret de la liberté de conscience, c’est dans la communication elle-même. Si, au lieu de réciter une prière, le maire, les conseillers et conseillères étaient affublés de signes religieux ostensibles avec pour certains des croix (ostentatoires), et d’autres, coiffez d’un foulard, d’un voile, d’une kippa, d’un turban : cette liberté de communiquer sa foi serait-elle tout aussi inacceptable ? Non, nous dit la Cour suprême, car, s’il va de soi que les représentants de l’État n’ont pas le droit d’user des pouvoirs publics de façon à professer leur croyance religieuse, cet interdit n’affecte pas par ailleurs leur droit à cette liberté à titre personnel. Ils ne sont pas tenus aux mêmes restrictions au regard de leur propre liberté de conscience et de religion. Un seul exemple suffit à donner la mesure de ce non, c’est le port du turban sikh autorisé à la Gendarmerie royale du Canada (GRC). En effet, l’adoption de la Loi canadienne sur les droits de la personne incite la GRC à se pencher sur le port des symboles religieux dans l’exercice des fonctions de police. Un groupe de travail de la GRC est mandaté et recommande une révision du code vestimentaire. À la suite de cette recommandation, la GRC, d’elle-même, donne le droit aux sikhs de porter le turban. Des anciens de la GRC contestent cette décision devant la Cour fédérale, qui les déboute, et la Cour suprême refuse d’entendre la cause, car la Cour n’a pas dit que les corps de police étaient obligés de permettre le turban. Elle a dit que, si un corps policier le permet de lui-même, il est impossible de l’en empêcher au nom de la Charte des droits. Finalement, le 16 mars 1990 conformément à la Charte des droits et libertés et à la politique multiculturelle fédérale, les policiers de la GRC sont désormais autorisés à porter le turban dans le cadre de leurs fonctions. Ceci constitue bien une expression publique individuelle de la foi sikhe. Cette différenciation confine donc à la fragmentation sociale et culturelle, elle est une façon d’entériner les conséquences du multiculturalisme sur les systèmes de droit de facture laïque dans la mesure où le multiculturalisme renforce l’affirmation individuelle et collective des croyances religieuses. Au vu de son caractère religieux (c’est-à-dire qu’on ne peut y inclure un sens neutre ou laïque) la pratique de la GRC ne contrevient-elle pas au devoir de neutralité de l’État ? Non, nous dit-on, car dans la vision qui sous-tend cette approche multiculturelle, la neutralité de l’État peut s’accommoder de particularismes religieux et culturels, en s’assurant que l’exercice du pouvoir soit séparé des institutions religieuses. Ainsi, la Cour suprême qui s’est opposée aux expressions religieuses particulières de la part de l’État peut, par ailleurs, accepter le port individuel de signes religieux et le maintien de certaines pratiques individuelles par les agents publics ou les élus dans l’exercice de leurs fonctions.

La neutralité multiculturaliste de l’État
Qu’est-ce qu’une neutralité de l’État qui n’a pas la forme bienveillante mais la forme multiculturelle ? Quelle forme prend la neutralité de l’État sous un régime multiculturel quand il se révèle difficile de délivrer la liberté religieuse individuelle d’un rapport aux institutions de croyances, aux aspects culturels de son exercice ? On sait que, pour le Conseil de la Ville de Saguenay et ses experts, l’autonomie de l’État et de la religion ne signifiait pas nécessairement la séparation totale entre les deux. Cependant la Cour suprême estimait qu’ils faisaient fausse route à cet égard : « La cible de la neutralité réelle n’est pas la stricte autonomie de l’État par rapport aux perspectives religieuses. L’objectif de la neutralité est plutôt de faire en sorte que l’État demeure ― en fait et en apparence ― ouvert à tous les points de vue, sans égard à leur fondement spirituel. Loin de viser l’autonomie, la neutralité réelle exige que l’État ne favorise ni ne défavorise aucune religion et s’abstienne de prendre position sur ce sujet. » Si la neutralité de l’État est contraire à toute ingérence des autorités publiques dans le domaine religieux ; cela signifie-t-il, a contrario, que des organismes religieux peuvent s’ingérer dans la sphère publique ? Dans le cas de la GRC, on l’a vu, le problème s’est présenté à l’envers, c’est elle qui a permis aux sikhs de porter le turban, et la Cour a statué qu’il était impossible de l’en empêcher en vertu de la Charte des droits et libertés et de la politique multiculturelle fédérale. (Politique étatique ou juridique ? On peut se poser la question quand on sait que nulle part ne figure le mot multiculturalisme dans la constitution canadienne). L’État est neutre, mais ses propres employés de plus des policiers n’ont pas l’obligation d’être neutres… Cette neutralité de l’État, de façon paradoxale, permet d’imposer sa propre foi dans la sphère publique et aux institutions de l’État. La neutralisation de l’État qui découle de la liberté de conscience et de religion que protège la Charte canadienne permet assurément d’organiser un régime juridique de liberté confessionnelle. Le pouvoir politique canadien en 1982 s’est appliqué avec le plus grand soin à entourer la liberté de religion d’une Charte propre à lui donner en droit plus de poids qu’à tout autre liberté signant ainsi la fin du conflit entre l’État et la religion en le neutralisant. 
Aujourd’hui, la neutralité de l’Etat, synonyme de multiculturalisme positif, sert de fondement à des principes juridiques qui visent à assurer la neutralité des pouvoirs publics à l’égard du fait religieux et à assurer un traitement égal à ses diverses expressions jusqu’à même protéger le fait de ne pas croire, mais le fait de ne pas croire ne fait pas sortir du religieux — c’est une croyance à l’envers mais une croyance tout de même. La neutralité de l’État dans le multiculturalisme est assurée lorsque celui-ci ne favorise ni ne défavorise aucune conviction religieuse ; en d’autres termes, lorsqu’il respecte toutes les positions à l’égard de la religion, y compris celle de n’en avoir aucune, nous dit la Cour suprême. C’est d’autant plus vrai, qu’il n’y a pas plus inclusif que le multiculturalisme. L’embêtant, c’est qu’une telle inclusion présente l’athéisme de M. Simoneau comme une croyance. La Cour suprême, on l’a vu, reste bien à l’intérieur d’une conception religieuse de la laïcité en refermant ainsi l’exercice de la liberté de conscience de M. Simoneau dans la sphère dessinée par la croyance, par le multiculturalisme. La laïcité de M. Simoneau présenter comme une croyance est bien la position originelle du Tribunal puis celle de la Cour suprême. C’est pourquoi le Tribunal comme la Cour ne peuvent traiter de la liberté de conscience sans la coordonnée à la liberté de religion. Mais cela compromet le droit de M. Simoneau à l’exercice de sa liberté de conscience réelle. La Cour face à l’extériorisation de la conscience en tant que composante de la liberté de conscience s’efforce de la contenir dans certaines limites, ce qui aboutit à une formule de compromis qui porte en elle-même sa propre contradiction : oui à la liberté de conscience laïque à condition qu’elle ne se fonde pas sur le déni de Dieu. Mais à partir du moment où la revendication de la liberté de conscience se mue en revendication d’un véritable droit à la différence, du droit de vivre selon ses convictions qui deviennent opposables à la religion et à une certaine pratique de l’État la Cour ne peut plus ignorer les consciences. L’obligation de faire coexister pacifiquement toutes les consciences et leur expression contradictoire est une tâche d’autant plus imposée que l’extériorisation croissante des exigences de la conscience engendrent des conflits virtuellement plus nombreux et judiciarisés, comme l’a montré l’affaire du port du kirpan, couteau rituel sikh, au Québec.

La liberté de conscience lésée de Alain Simoneau. 
Cette prééminence des prescriptions religieuses que la Cour Suprême accepte de faire prévaloir sur les normes du droit étatique est en même temps un signe de l’acceptation de plus en plus fréquente des dérogations à la règle commune, justifiées par le respect de la liberté de conscience et de religion. La liberté de conscience de M. Simoneau est limitée par l’intérêt commun à l’ordre religieux. Pour lui, quand il invoque sa liberté de conscience, ou tout simplement sa conscience, comme dans les expressions « conscience de soi », « conscience du soi », c’est indiquer qu’il entend refuser de se soumettre à une conscience dont il n’est pas le sujet. D’ailleurs, qu’est-ce que cette liberté de conscience individuelle qui se présenterait sous l’égide de Dieu ? Qu’est-ce que cette liberté de conscience individuelle qui se présenterait comme impersonnelle, passive et qui contribuerait à l’occultation du je, de l’individu singulier, d’une identité personnelle et où l’intériorité du soi ne ferait qu’un avec la conscience de soi, et différente en cela d’une intériorité spirituelle ouverte en abîme sur la transcendance ? Qu’est-ce que serait cette liberté de conscience qui ne serait pas objection (comme dans « objection de conscience »), et refus de se plier à des valeurs jugées contraires aux exigences de l’intériorité en tant que conscience morale et constituant le critère de l’identité personnelle, elle-même requise par la justice individualiste et son mode plaintif ? M. Simoneau à l’origine de la plainte et des jugements subséquents — on sait que dans le système plaintif propre aux Chartes, sans une plainte la discrimination peut se perpétuer en toute légalité — faisait remarquer que « même si la prière de la Ville était neutre sur le plan confessionnel, on ne peut pour autant le contraindre à abdiquer ses valeurs morales en le forçant à embrasser une conception reconnaissant une forme de suprématie divine ». Mais que se passe-t-il quand celle-ci est inscrite en toutes lettres dans la Loi constitutionnelle canadienne de 1982 ? Comme on le sait, la Cour d’appel du Québec et les appelants (la Ville de Saguenay) feront appel à elle dans l’espoir que soit admise une « neutralité bienveillante » considérant le lien historique entre la religion et l’État. Or, la Cour maintiendra non seulement que la neutralité de l’État n’admet pas d’épithète comme « bienveillante » mais aucun autre à l’exemple de l’épithète laïque. « Si, au lieu de réciter une prière, les représentants d’une municipalité déclaraient solennellement que les délibérations du conseil se fondent sur le déni de Dieu, cette pratique serait tout aussi inacceptable. La neutralité requise de l’État s’oppose à une telle prise de position, qui aurait pour effet d’exclure tous ceux qui croient en l’existence d’une divinité. » La neutralité de l’État défendu par la Cour suprême est en quelque sorte une position « déiste ». Une position de « neutralité » qu’elle oppose au théisme et à l’athéisme, tout en continuant à croire en un être suprême. Exit donc la neutralité de l’État laïque. Exit l’interprétation dérivante de la Cour d’appel et du Conseil de Ville de Saguenay condamnée, car sa prière est déclarée une prière confessionnelle, et plus précisément une prière chrétienne. À l’inverse, on l’a vu, il aurait suffi à la Ville de Saguenay et à son maire de réciter une prière non confessionnelle semblable à celle du Conseil du comté de Renfrew, ou à celle de la Chambre des communes pour qu’elle ne porte pas atteinte minimalement à la liberté de conscience de M. Simoneau. 
Reste que la Cour suprême n’a jamais allégué que la présence d’une suprématie divine dans le préambule de la Charte, ou d’une providence divine dans les différentes prières portait atteinte à la liberté de conscience (et laïque) de M. Simoneau. Car, nous dit la Cour : « La mention de la suprématie de Dieu dans le préambule de la Charte canadienne ne saurait entraîner une interprétation de la liberté de conscience et de religion qui autoriserait l’État à professer sciemment une foi théiste. Ce préambule, y compris sa référence à l’être divin, est l’expression de la ”thèse politique” sur laquelle reposent les protections qu’elle renferme. [On n’en saura pas plus sur le sens politique de cette thèse, mais on devine ici que la Cour fait allusion à ce que tous les articles de la Charte devraient être interprétés à la lumière du principe reconnaissant la suprématie de Dieu.] Partant, la mention du divin dans le préambule ne saurait être invoquée pour diminuer l’étendue d’une garantie explicite prévue par les chartes. » Puis, citant et endossant les propos du professeur L. Sossin (The “Supremacy of God”, Human Dignity and the Charter of Rights and Freedoms, 2003), qui écrit : « La mention de la suprématie de Dieu dans la Charte ne saurait permettre d’affirmer qu’une religion plutôt qu’une autre est privilégiée au Canada, que le monothéisme est préférable au polythéisme ou encore que les croyants jouissent de droits et privilèges plus étendus que les athées ou les agnostiques. L’une ou l’autre de ces interprétations irait à l’encontre de l’objet et de l’orientation de la Charte, ainsi que des dispositions explicites de l’art. 2 portant sur la liberté de religion et de conscience. » (Traduction et soulignement sont de la Cour suprême.) Pour finir, la Cour conclut que « la mention de la suprématie de Dieu ne restreint pas la portée de la liberté de conscience et de religion et n’a pas pour effet d’accorder un statut privilégié aux pratiques religieuses théistes ». Mais faut-il s’en étonner quand on sait que la Cour renvoie en définitive à un « État déiste », mieux : à une neutralité déiste de l’État.  
La loi constitutionnelle de 1982 (rejetée par le Québec) et son préambule déiste vont à l’encontre du caractère laïque, séculier de la Révolution tranquille au Québec. La prière récitée par le maire et les conseillers municipaux lors des séances publiques du conseil municipal doivent être considérés comme un reliquat d’avant la Révolution tranquille, d’avant la séparation de l’Église et de l’État. (En effet, la liberté de conscience est assurée en droit, grâce à la loi de séparation des Églises et de l’État.) La plainte de M. Simoneau pour discrimination est fondée sur sa liberté de conscience laïque visant une pratique religieuse associée au catholicisme et professée par des représentants de l’État. Mais à l’égard de cette discrimination, la Cour, elle, pose la neutralité déiste de l’État. Cette position est difficile à expliquer, à interpréter, et à soutenir sans la référence à la suprématie de Dieu. C’est là que l’ironie perce, car pour que la plainte soit entendue M. Simoneau sera soumis au préalable à la preuve de sincérité (c’est-à-dire à un « dedans partagé »). Interrogé sur ses convictions personnelles, il mentionne ne pas « avoir la foi ». « Il explique qu’il a convaincu sa conjointe de ne pas faire baptiser leur fille. Bien qu’il ait mentionné avoir ” cédé ” à celle-ci, qui lui demandait de faire baptiser leur fils, il dit l’avoir regretté par la suite. Lorsque leur fille entre à l’école, M. Simoneau demande à ce qu’elle soit dispensée des cours de religion et qu’on l’amène plutôt à la bibliothèque pendant ces périodes. Il dit ne pas savoir si ses petits enfants sont baptisés. Il a envoyé un acte d’apostasie au diocèse de Montréal. » Bref, il raconte comment il s’est délié de la religion catholique et de ces formes collectives d’identification. Il pense en individu. Il définit lui-même son identité personnelle, son identité à soi, ou mieux comme il l’a conçoit ce qui le conduit à y inclure le lien à l’athéisme qui ne doit rien à la liberté de religion, mais tout à la liberté de conscience. Toutefois, il faut admettre que cette liberté — relevant du for intérieur (pour le dire autrement) — se détache de l’intériorité du soi, de l’identité individuelle pour envisager un (r)attachement au mouvement laïque. Toute différente est la liberté de religion où la preuve de sincérité par l’individu porte sur la manifestation de sa croyance par rapport à un culte religieux. Reprenons l’exemple du jeune sikh et sa demande pour le port du kirpan (poignard sikh) dans son école. Elle est bien plus motivée par des considérations religieuses que par la conscience de soi. C’est pourquoi la Cour suprême incitée à se pencher sur le port des symboles religieux a jugé que le kirpan est un symbole religieux dont la possession est protégée par la liberté de religion. Sa demande portait donc moins sur cette conviction sincère reposant sur la conscience, sur le sentiment intérieur, mais plus sur sa sincérité religieuse sikhe.

Le Dieu constitutionnel canadien
Si pour M. Simoneau sa plainte relève de la liberté de conscience en tant que conscience de soi et ramène dans la transparence du présent tout le passé identitaire du soi, pour la Cour suprême sa plainte se rattache à la liberté de conscience et de religion et au non-respect par l’État de la neutralité religieuse. L’épithète ici s’impose comme une excroissance de la liberté de religion. Car si la Cour rejette l’État confessionnel, elle rejette également l’État laïc pour un État déiste. Le déisme de l’État équivaut à une croyance en un Être suprême qui reste intentionnellement imprécis. Cette conception déiste, c’est la mise en scène du Dieu omniscient transposée dans la Loi constitutionnelle de 1982 et reconnaissable, par exemple, dans le serment d’allégeance à Sa Majesté la reine Élisabeth II par le premier ministre nommé quand il finit par ses mots : « Ainsi Dieu me soit en aide ». Ce serment nous plonge au cœur même de l’assise juridique du Canada. La suprématie de Dieu comme expression de la « thèse politique » est une instance qui confère à l’ordre établi canadien un caractère définitif, un invariant intouchable, la marque de la vérité éternelle. Il garantit le présent durable de la Charte canadienne. Émanation de Dieu, la Loi constitutionnelle de 1982 et sa Charte revêtent un aspect contraignant que n’a simplement pas la primauté du droit. La préséance de Dieu sur la primauté du droit est le nouveau référentiel pancanadien et exerce ses effets de contrainte sur les différentes juridictions provinciales et territoriales. La Charte québécoise des droits et libertés (adoptée en 1975) perd alors son autonomie et devient le relais de l’interprétation divine donnée aux droits et libertés énumérés à la Charte canadienne. Dorénavant la liberté de conscience doit être interprétée à la lumière du principe juridique reconnaissant la suprématie de Dieu, ce qui consiste à la retenir comme l’une des dimensions de la liberté de religion. Un accouplement récurrent qui constitue un leitmotiv presque obsédant de la part de la Cour suprême, et lui donne en droit plus de poids qu’à toute autre liberté signant ainsi la fin du conflit entre conscience et religion. La dichotomie de la conscience et la religion appartient au passé laïque. En effet, exprimer la liberté de conscience en terme de liberté de religion, c’est avant tout protégé la liberté religieuse, c’est faire nécessairement intervenir la question de la neutralité religieuse de l’État. Toutefois derrière l’apparente neutralité religieuse de l’État se cache la recherche d’un compromis permanent avec les seules religions.