Messages les plus consultés

vendredi 21 décembre 2012

Les Walton, Forbes et le surprofit


 « Plus nous envisageons sèchement les choses, plus notre admiration va augmenter en constatant que des dizaines de milliers de produits différents suivent leur route avec la ponctualité la plus étonnante comme si une main invisible les guidait vers leur lieu de destination. [...] Cette main invisible ne mène pas seulement ces différentes sortes de marchandises sur leur chemin, non, plus encore, qu'elle garantit de la manière la plus étrange et la plus sûre cette cohésion généraIe des choses produites au nom de l'échange que nous appelons le marché mondial. [...] Heureux le monde qui sera un jour une unique foire emplie du bruit des marchands et des acheteurs! »  
 Adam Smith 

 « La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, donc les rapports de production, c’est-à-dire l'ensemble des conditions sociales. Le maintien sans changement de l’ancien mode de production était, au contraire, pour toutes les classes industrielles antérieures, la condition première de leur existence. Ce bouleversement incessant de la production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette instabilité éternelles distinguent l’époque bourgeoise de toutes les précédentes. Tous les rapports sociaux, traditionnels et figés, avec leur cortège de conceptions et d’idées antiques et vénérables, se dissolvent; ceux qui les remplacent vieillissent avant d’avoir pu se scléroser.
Poussée par le besoin de débouchés toujours plus larges pour ses produits, la bourgeoisie envahit toute la surface du globe. Partout elle doit s'incruster, partout il lui faut bâtir, partout elle établit des relations. En exploitant le marché mondial, la bourgeoisie a donné une forme cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au grand regret des réactionnaires, elle a dérobé le sol national sous les pieds de I'industrie. Les vieux métiers nationaux sont détruits, ou le seront bientôt. Ils sont détrônés par de nouvelles industries, dont l'adoption devient un problème vital pour toutes les nations civilisées, et qui emploient des matières premières provenant, non plus de I'intérieur, mais des régions les plus éloignées. Les produits industriels sont consommés non seulement dans le pays même, mais dans toutes les parties du monde. Les anciens besoins, satisfaits par les produits indigènes, font place à de nouveaux qui réclament pour leur satisfaction les produits des pays et des climats les plus lointains. L'ancien isolement et I'autarcie locale et nationale font place à un trafic universel, une interdépendance universelle des nations. 
Par suite du perfectionnement rapide des instruments de production et grâce à l’amélioration incessante des communications, la bourgeoisie précipite dans la civilisation jusqu’aux nations les plus barbares. Le bas prix de ses marchandises est la grosse artillerie avec laquelle elle démolit toutes les murailles de Chine. Elle contraint toutes les nations, sous peine de courir à leur perte, d’adopter le mode de production bourgeois. En un mot, elle crée un monde à son image. » 
Karl Marx et Friedrich Engels


Sam Walton fondateur de Walmart

Selon le magazine Forbes, la fortune cumulée de la famille Walton de la compagnie Walmart atteint 119.4 milliards de dollars, loin devant le fondateur de Microsoft Bill Gates qui détient seulement un total de 66 milliards de dollars et aussi de Carlos Slim Helu & famille qui avec sa première place mondiale ne détient que 69 milliards de dollars. Reste qu’individuellement les Walton se classent respectivement sixième avec pour Christy Walton une fortune de 27.9 milliards de dollars, suivi de Jim Walton qui se classe septième avec une fortune de 26.8 milliards de dollars, puis Alice Walton à la huitième place avec une fortune de 26.3 milliards de dollars et fermant la marche à la neuvième place du top 10 S. Robson Walton avec une fortune de 26.1 milliards de dollars. Enfin, d’autres membres de la famille se classent plus loin dans le palmarès des 400 Américains les plus fortunés : Ann Walton Kroenke se retrouve à la 79e place avec une fortune de 4.5 milliards de dollars, et Nancy Walton Laurie se retrouve à la 100e place avec une fortune de 3.9 milliards de dollars. 


Comment les Walton ont-ils amassé une fortune aussi colossale?


Comment le système capitaliste libéral (il faut appeler les choses par leur nom) fonctionne-t-il aujourd’hui pour qu’une famille y détienne une plus-value à ce point exorbitante? Sur quoi cette dernière repose-t-elle? Quels sont les éléments propres à la nouvelle configuration du monde capitaliste qui définissent Walmart comme le modèle à suivre? Modèle basé, rappelons-le, sur la réduction inexorable des coûts du travail et sur l’autel des prix toujours plus bas. C’est le côté funeste du slogan « chaque jour des prix bas » (everyday low prices). Tout se passe comme si s’étant habitués à avoir de faibles augmentations de salaire voire un recul depuis de nombreuses années les salariés attendaient en contrepartie une baisse continue des prix. Gagner moins pour payer moins serait le dernier slogan en vogue dans l’économie de marché. Cela se traduit par une hypersensibilité générale à toute hausse des prix même lorsque cette dernière est faible. Et à ce petit jeu des bas prix, c’est Walmart qui est aux avant-postes de la défense du pouvoir d’achat avec la généralisation du low cost (faible coût) à toutes les familles de biens et de services. Toutefois, le pouvoir d’achat a cessé de résulter de la confrontation entre la dynamique des revenus et celle de la hausse des prix (inflation), puisque Walmart tend à concentrer l’observation sur ce second facteur plutôt que sur le premier. Ainsi, par son attention continue et quasi obsessionnelle aux bas prix — à la consommation, mais aussi à la production, aux transports, etc. —, Walmart rejoint ici ce qu’on peut qualifier de syndrome de l’inflation qui a contaminé le corps économique de la planète entière et qui se traduit dans l’indice des prix à la consommation à partir duquel est construit le dénominateur servant au calcul du pouvoir d’achat lequel est sans équivoque : mesurer l’inflation

L’enjeu du pouvoir d’achat n’est plus donc la hausse des salaires ni le partage salaire/profit vu que l’indexation des salaires ne joue plus le rôle régulateur qui était le sien lors des « Trente Glorieuses » (1945-1975). En effet, si pendant cette période le corps économique définissait le pouvoir d’achat comme la quantité de biens et de services que l’on pouvait acheter avec le revenu disponible 
 
signifiant qu’une hausse des revenus supérieure à celle des prix faisait progresser le pouvoir d’achat —, étant donné qu’à l’époque de l’économie fordienne de l’après-guerre, du New Deal, ou ce qu’on a appelé également les Trente Glorieuses, c’étaient les revenus qui faisaient le pouvoir d’achat et non pas les bas prix. C’était un système économique et social qui associait une production de masse à une politique du pouvoir d'achat élevé par la hausse et l’indexation des salaires (indexée à l’inflation certes, mais aussi sur les gains de productivité) générant ainsi une augmentation de la croissance continue. (Assez drôlement on peut remarquer que Sam Walton en lançant en 1962 son premier Walmart a bénéficié d’un parfait timing, profitant dans sa phase d’expansion initiale de la prospérité du New Deal propice au développement de la culture consumériste. Par contre, nous dit-on, il était moins admirateur de son système de régulation sociale.) En période d'abondance, lorsque la sphère réelle est alimentée généreusement en monnaie, les entrepreneurs sont de plus en plus nombreux; les affaires marchent et, c’est bien connu, les prix montent. Il convient, bien entendu, d'ajouter que les prix sont fixés, en fonction du marché certes, mais aussi par les entrepreneurs qui obéissent aux impératifs de rentabilité et de profit. Du reste, ces prix sont composés de deux éléments essentiels : les coûts supportés par l'entreprise et les profits qu'elle compte en tirer. Il n'y a pas d'économie libérale d'entreprise sans ces deux facteurs. Ce sont donc, en règle générale, les profits attendus qui font les prix. Mais à défaut de hausse des prix, on assiste à des mouvements continuels d'ajustement sur les coûts, ce dont Walmart s’est fait le champion, en plus de tirer avantage de sa position très concurrentielle (on parle même de « suprématie » dans son secteur de la grande distribution) qui lui permet de vendre au-dessous du prix de marché, mais au-dessus de son prix de production. Les prix des produits, nous dit-on, sont de 10 % à 15 % plus bas chez Walmart qu’ailleurs. Ainsi, l’effet de l’entreprise est tel que l’arrivée d’un magasin Walmart pousse les prix et donc les salaires rattachés à la baisse dans l’ensemble des magasins de la région ce qui leur permet de maintenir les profits tant bien que mal. Un exemple : « Quand Walmart a annoncé son expansion en Californie du Sud, les patrons des chaînes de supermarchés Albertson's, Vons et Ralphs ont demandé à leurs employés de se serrer la ceinture pour absorber le choc. Outre les salaires revus à la baisse, les employés devraient payer davantage pour leur couverture médicale » (exemple tiré de l’excellent livre de Nelson Lichtenstein et de Susan Strasser, Wal-Mart : l’entreprise-monde). Les salaires de ces employés ont par conséquent tendance, sous la pression de la concurrence, à s’égaliser avec ceux des « associés », euphémisme pour « salariés », chez Walmart. Pour autant, il n’y a pas lieu d’insister ici jusqu’à quel point la baisse des salaires et des charges sociales peut coïncider avec la ponction de la plus-value formant la substance du profit, car le classement par le magazine Forbes de la fortune de la famille Walton témoigne fortement de cela. 

En résumé, la définition du salaire coïncide avec la définition du prix. Le salaire est attaché au prix de la marchandise. Le profit et le salaire sont dans un rapport inverse l’un à l’autre. Opposition des 1 % (les plus riches) et des 99 % (envers amer de la « dictature du prolétariat ») dont l’existence économique s’exprime dans le profit et le salaire. Bien entendu, les profits et les bas salaires entretiennent un rapport de complémentarité. Mais ce qui intéresse le capitaliste c'est la plus-value monétisée. La monétisation de la plus-value passe par la vente des marchandises dans lesquelles elle s'incarne; ce qui suppose l'existence d'un pouvoir d'achat suffisant. Or, plus les salaires sont bas plus les difficultés de monétisation sont grandes. Cette contradiction est pleinement une contradiction interne au mode de production capitaliste (oh! les vilains mots) lorsque le capitalisme investit la sphère de production des biens de consommation. La solution est le développement du crédit qui jette un pont entre les deux rives divergentes du développement des forces productives (l’ironie de l’Histoire, c’est que le dernier endroit où elles trouvent les conditions de leur extension est en Chine communiste) et de la capacité de consommation des salariés. On comprend mieux, de ce fait, pourquoi est soigneusement entretenue la boucle prix-salaires-prêts comme pouvoir d’achat. Cependant, le profit monétaire au moment de la vente est précédé du processus de production capitaliste qui consiste foncièrement en la création d’une plus-value tirée du travail vivant non payé. Par exemple, un travailleur chinois travaillant 6 jours par semaine, douze heures par jour pour un salaire mensuel d’environ 100 dollars, et produisant un nombre X du même produit est fondateur du profit, car ce n’est pas dans la vente que se crée le profit, mais bien dans la production. Toutefois, le bouclage du circuit ne se fait que s’il y a vente. C’est alors seulement que Walmart, enfin la famille Walton, pourra s’approprier la plus-value monétaire. Du reste, c’est bien de la combinaison des deux dont nous parle chaque année, le PDG de Walmart quand il nous dit : « nous venons d’enregistrer des ventes records, des profits records, des réinvestissements records dans l’entreprise. Il va pourtant falloir être encore meilleurs »; c'est-à-dire, il leur faudra accroître encore plus la masse de plus-value produite. 

Au final, Walmart participe à ce qui se révèle être le plus vaste processus de prolétarisation industrielle depuis l’époque bourgeoise, il y a plus de deux siècles. Ce qui caractérise ce nouveau stade du capitalisme, et sa mise en place partout dans le monde (l’Inde serait en train de succomber), ce n’est plus la fameuse « main invisible » du marché, mais la séparation entre la consommation de produits et sa base matérielle invisible, c’est-à-dire l’invisibilité de millions de travailleurs anonymes — dont quelques millions de paysans nouvellement prolétarisés comme en Chine — et qui suent dans les usines, dans les ateliers sweatshops, ou maquiladoras. La force de travail mondiale semble être frappée d’invisibilité alors que sa trace est facilement identifiable partout autour de nous. Il suffit de remarquer l’étiquette « Fabriqué en... Chine, Indonésie, Bangladesh, Mexique, Vietnam... » sur les produits de masse, des vêtements aux appareils électroniques. Bref, aujourd’hui la famille Walton et le monde prolétarien, sont en relation croissante, d’un côté la plus-value, de l’autre la main-d'œuvre prolétaire mondialisée.

  



dimanche 23 septembre 2012

Yasser Arafat par lui-même



Le président Arafat restera à
jamais un symbole d’héroïsme
pour tous les peuples du monde
qui luttent pour la justice et la liberté.
Nelson Mandela



Dans L’Impossible, on lit sous la plume de Michel Butel qu’ « Arafat fut un combattant d'une intelligence tactique extraordinaire, d'une ruse constante, doué de qualités hors du commun. Mais lui manqua Ia parole. Prononcer des phrases simples. Dire à son peuple : “ Il y aura dorénavant et à jamais un État israélien à côté de notre État. C'est un honneur pour nous, Arabes, d'héberger le peuple d'lsraël. Les Juifs, l'Occident Ies a exterminés, nous, nous les recevons, nous les accueillons.” ll aurait fait des Palestiniens un peuple fier des paroles que prononçait son chef et qui valaient serment devant l'Histoire. Le sort du Monde en eût été changé à jamais. C’est cela la parole. »

Quelle bizarrerie de demander à l’exilé d’accueillir celui qui a causé son exil. Au jour d'aujourd'hui, on rappelle que les Palestiniens sont toujours en demande de reconnaissance d’un État de Palestine à l’ONU à côté de l’État d’Israël. D’où l’invraisemblance de cette parole qui ne nous dit pas comment les Palestiniens qui n’ont toujours pas de pays puisqu’on le leur a enlevé pourraient-ils se prononcer pour l’« hébergement du peuple d’Israël » ? C’est pour cela qu’une telle parole défendant le droit au retour des Israéliens dans la bouche de Yasser Arafat, ça sonne mal. Car il y a une limite à vouloir faire de Yasser Arafat « le Moïse de la Palestine ». Il est décisif pour cette parole « butelienne » que ce qui est devenu une fois reviendra une fois encore, car « retour » veut dire la possibilité de reconnaître et d’appeler le même : « le peuple d’Israël ». Ainsi naît une symétrie tout à fait singulière dans la mesure où, au retour de celui qui, d’un côté, l’a écrit comme son commencement correspond de l’autre côté, le retour de celui qui le perçoit comme un mouvement de libération nationale. Michel Butel nous renvoie à la genèse qui participe de la légende du droit au retour vers le pays de la Torah. Comme l’a écrit le poète Mahmoud Darwirch : « Celui qui impose son récit hérite la Terre du Récit ».

L’intérêt de Butel pour Arafat, par-delà les louanges, est donc perçu à travers ce retour en terre d’Israël comme si l’Histoire n’avait pas continué pendant que le peuple d’Israël n’était pas là, comme s’il n’y avait personne et que la terre de Palestine n’avait qu’une fonction : celle d’attendre le peuple d’Israël, ce qui depuis est devenu une vérité puis une réalité. C’est bien la Bible qui fait tenir cette parole butelienne debout. Cette dernière est une vision religieuse et sioniste, ce n’est pas une vision historique puisque seuls les Juifs auraient un passé même s’il faut remonter à plus de deux mille ans en arrière. Mais il reste que Butel ne peut pas ignorer la place conquise par Israël en Palestine. Tout cela est très bien, à cela près que l’on est en droit de se demander ce qu’il en est de Yasser Arafat dans cette histoire. Il se rappelle, comme tout Palestinien, qu’il avait une patrie et qu’il en a été exilé. 

On force un peu le trait pour montrer l’énormité de cette parole sortie d’une bouche aspirée par le sionisme puisqu’elle demande aux seuls Palestiniens dont la disparition est constamment à l’ordre du jour de reconnaître pour la énième fois Israël. Michel Butel, après bien d’autres, se retourne seulement vers la reconnaissance d’Israël sans interroger l’autre partie qui avec la complicité presque unanime des Occidentaux, avec des différences et des réserves diverses, ne cesse de nier le fait concret d’un peuple palestinien. Et aujourd'hui, nous avons l’Occident tel que défini ci-dessus par Butel, dans le même camp qu’Israël et contre les Palestiniens. C’est sûr que les Occidentaux après le plus grand génocide de l’histoire devaient réparation au peuple juif. Mais cette réparation, ils la firent payer par un peuple innocent de tout Holocauste. Dire que nous devons prendre conscience de la réalité de l’Holocauste ne signifie aucunement accepter l’idée selon laquelle l’Holocauste excuse le sionisme du mal fait aux Palestiniens. Mais peut-être plus infâme encore : c’est que cette réparation les Occidentaux la firent passer par et dans le développement du sionisme qui lui part de la nécessité de l’absence des Palestiniens. Si le dictionnaire Robert donne du mot « sionisme » (1886) la définition suivante : « Mouvement politique visant à l’établissement puis à la consolidation d’un État juif en Palestine ». Il faut ajouter à cela la formule mille fois répétée, que « le sionisme, c’est un peuple sans terre qui revient à une terre sans peuple » (c’est-à-dire la disparition du peuple palestinien). 

Aujourd’hui comme hier l’empêcheur, c’est le Palestinien à l’image de Yasser Arafat pour qui justement la lutte était de ramener son peuple à la visibilité et le sortir de l’absence forcée dans laquelle le sionisme puis Israël avaient rêvé (et rêve encore) de le voir disparaître. Sans doute est-il un peu facile de s’abriter derrière des citations, mais il est une parole d’une telle importance pour les propos qui vont suivre et pour enlever toute ambiguïté sur l’action de Yasser Arafat qu’on se permet de la rappeler. Voici donc ce que disait Elias Sanbar à la mort d’Arafat en novembre 2004 : « Il a mené le combat des siens pour la reconquête de leur nom, Palestiniens, et les tirer ainsi de l’effacement imposé vers la visibilité, évidence incontournable qu’ils existaient et que leurs droits étaient identiques à ceux de tous les hommes. »

La fin de l’effacement des Palestiniens commence en 1959 au Koweït, Arafat fonde le Fatah, mouvement de libération nationale palestinien qui intégrera plus tard l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), née en 1964 lors d'un sommet arabe organisé sous l’égide du président égyptien Gamal Abbel Nasser. En 1964, la Charte de l’OLP se fixe comme objectif « la destruction de l’État juif ». Cependant, c’est la bataille de Karameh, en Jordanie, en mars 1968, qui propulse le Fatah et Yasser Arafat au summum de leur popularité lorsqu’il fait front avec ses fedayins aux troupes israéliennes et met en échec avec l’aide de l’armée jordanienne une incursion d’envergure (déjà) menée par l’aviation, des chars et des parachutistes israéliens. En février 1969, il est élu président du comité exécutif de l’OLP. Il peut enfin orienter la centrale palestinienne comme le démontre la résolution du Conseil national palestinien sur l'édification d'une « société libre et démocratique en Palestine, pour tous les Palestiniens, qu'ils soient musulmans, chrétiens ou juifs ». C’est-à-dire que les habitants juifs se voient dénier toute identité nationale propre. Dans ce concept il n’y a pas d’État palestinien aux côtés d’Israël. À sa place est prônée l’émergence d'un État « désionisé », laïque et démocratique, à égalité de droits pour tous ses habitants. On voit tout de suite quelle direction Arafat entendait prendre et assez vite l’idée première — « les Israéliens doivent retourner d’où ils viennent » — est abandonnée puisqu’ils sont intégrés dans le grand tout : la Palestine. Or l'OLP qui réclamait le démantèlement de « l'entité sioniste » au profit d’un État laïque et démocratique où cohabiteraient les trois religions monothéistes, et cetera, restera lettre morte. Les Palestiniens eux-mêmes abandonneront après diverses pressions et la guerre d’octobre 1973 entre l’Égypte, la Syrie et Israël le concept d’État démocratique pour celui d’un État palestinien c’est-à-dire la séparation des deux sociétés, palestinienne et israélienne.

En octobre 1974, au sommet arabe de Rabat, l'OLP est reconnue comme « seul représentant légitime du peuple palestinien ». S’ensuit un début de reconnaissance internationale. Le 13 novembre, à la tribune de l'ONU, Yasser Arafat déclare : « Je suis venu porteur d'un rameau d'olivier et d'un fusil de révolutionnaire. Ne laissez pas tomber le rameau de ma main. » Cette reconnaissance de l’OLP modifie radicalement son rapport aux Israéliens. Mais il faudra cependant attendre une quinzaine d’années supplémentaires (le 15 novembre 1988 plus précisément) pour que Yasser Arafat obtienne une large majorité au Conseil national palestinien en faveur de la création d’un État indépendant en Palestine à côté d’Israël dans les territoires occupés par ce dernier depuis 1967. Dorénavant, l’« entité sioniste » laisse place à Israël, accepté comme État sur le territoire qui lui est internationalement reconnu. Et la reconnaissance d’une société nationale israélienne intrinsèque est explicitement admise. Quelques mois après, au printemps 1989 en France, Arafat déclarait « caduque » la charte de son organisation prônant la destruction de l’État hébreu. Ce qui valait « serment devant l'Histoire » pour le dire comme Michel Butel. En reconnaissant Israël, Arafat était parvenu à son objectif politique majeur : la fin de l’effacement des Palestiniens, la reconnaissance de leur identité et de la légitimité de leur mouvement national. 

De leur côté, les autorités israéliennes vont évoluer de la négation pure et simple de l’existence d’un peuple palestinien exprimée par Golda Meir vers la tentative de favoriser l’émergence de pouvoirs locaux alternatifs à l’OLP, allant même jusqu’à la tolérance envers des mouvements islamistes situés dans l’orbite des Frères musulmans égyptiens pour contrer le mouvement national palestinien. Encore aujourd’hui un des buts d’Israël n’est-il pas la dissolution de l’OLP, voire de l’Autorité palestinienne, dans l’intégrisme musulman? Éviter toute reconnaissance de l’OLP connaîtra un autre avatar après que Yasser Arafat ait commencé à rencontrer régulièrement des Israéliens dont des députés après son éviction de Beyrouth. En réaction, la Knesset adoptera, en 1986, une loi interdisant aux ressortissants israéliens de rencontrer des membres de l’OLP, sous peine de prison. Encore, deux ans avant les accords d’Oslo en 1991, dans la composition de la délégation palestinienne dépêchée à Madrid à l’occasion de la conférence voulue par l’administration américaine, on retrouvait des Palestiniens, mais « de l’intérieur » et seulement au sein de la délégation jordanienne, pour tenter d’éviter la présence directe de l’OLP en tant que telle. Mais c’est ces mêmes Palestiniens de l’intérieur qui vont se soulever en ramenant la question palestinienne au lieu de la question. La première Intifada 1987-1993 est une « révolte des pierres » et une mobilisation populaire. Et ce que lancent les Palestiniens, ce sont leurs propres pierres, les pierres vivantes de leur pays. L’Intifada, dans les territoires occupés par Israël, changera la donne, soudant de nouveau l’OLP et brisant son isolement politique (suite à son soutien de Saddam Hussein pendant la première guerre du Golfe, 1990-1991). Les Palestiniens à la force des pierres vont obliger Israël, après des décennies de déni du fait national palestinien, durant lesquelles tous les gouvernements israéliens n’avaient cessé de marteler que « jamais ils ne reconnaitraient ni ne négocieraient avec cette organisation terroriste », à reconnaître l’OLP comme représentant du peuple palestinien (préambule des accords d’Oslo, août 1993). Une page se tourne. 

Le 9 septembre 1993 donc comme président de l'Organisation de libération de la Palestine (l'OLP), Arafat reconnaît Israël et son droit à l’existence et en retour Israël reconnaît l’OLP comme le représentant du peuple palestinien. Le 13 septembre, il signe les accords d’Oslo (appelé ainsi, car négocié secrètement pendant plusieurs mois à Oslo) à Washington en présence de Yitzhak Rabin, premier ministre d'Israël,et de Bill Clinton, président des États-Unis, en vue de trouver une solution au conflit israélo-palestinien. Ce 13 septembre 1993 est sûrement un des plus beaux jours pour Arafat, il est resplendissant, c’est lui qui va vraisemblablement en dehors du protocole établi, serrer chaleureusement la main de Rabin, mais ce dernier, surpris, a spontanément un petit mouvement de recule.  À cette occasion sur le parvis de la Maison Blanche, Arafat déclarera : « Je souhaite exprimer notre très haute estime au président Clinton et à son administration pour avoir parrainé cet événement attendu par le monde entier. [...] Notre peuple ne considère pas que l’exercice de son droit à l’autodétermination puisse violer les droits de ses voisins ou porter atteinte à leur sécurité. Au contraire, mettre fin à notre sentiment d’avoir subi une injustice historique constitue la plus ferme garantie pour parvenir à une coexistence entre nos deux peuples et les générations futures. » Le 1er juillet 1994, il fait un retour triomphal en Palestine. En octobre de la même année, Yasser Arafat reçoit le prix Nobel de la Paix, avec Yitzhak Rabin et Shimon Peres.

Maintenant, sans rentrer dans le détail des accords, comment Arafat a-t-il pu penser que le processus d’Oslo allait rendre justice aux Palestiniens? Robert Malley (ancien conseiller spécial du président Bill Clinton pour les affaires israélo-arabes), par exemple, se posait la question : « Saura-t-on un jour si Arafat a réellement “lu” les accords d’Oslo? » Est-ce à dire qu’a supposé qu’il les aurait lus; n’aurait-il pas dû les signer? On pourrait, sans la condescendance affichée par le représentant des États-Unis, effectivement se poser la question quand on sait la concession extrême, le compromis historique, anciennement inconcevable qu’il a donné en amont de toute négociation, en faisant porter la négociation sur 22 % du territoire de la Palestine mandataire (d’avant 1948). De plus, des questions clés comme les frontières du nouvel État, le problème de l’eau, le statut de Jérusalem, le sort des colonies de peuplement de Cisjordanie, le droit au retour des réfugiés de 1948 et de 1967, n’y étaient pas inscrites. Mais aurait-il accepté moins que le droit international, il aurait signé quand même les fameux accords intérimaires, car justement intérimaires. Du même coup, Arafat libère la conscience israélienne de l’illusion que les Palestiniens auraient perdu leur mémoire collective puisque pour la première fois depuis 1948 la Palestine repart de chez elle. Du reste, la principale conséquence positive de ces accords fut la création d'un gouvernement palestinien, formant l'Autorité nationale palestinienne en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Et que le 20 janvier 1996, Yasser Arafat est élu premier président de l'Autorité palestinienne lors des premières élections générales palestiniennes. 

Ces accords à venir consistent donc en une déclaration de principes sur des modalités intérimaires d'autonomie pour les territoires occupés, s'appliquant, avec plusieurs échéances, à une période de cinq ans, au terme de laquelle devait entrer en vigueur le statut définitif, préalablement négocié, de ces territoires. Le premier accord intérimaire, dit Oslo 1 ou Gaza-Jéricho, est signé le 4 mai 1994 au Caire et prévoit la mise en place de l’Autorité palestinienne et une autonomie progressive et partielle des territoires, et d'un premier retrait de l’armée israélienne dans la bande de Gaza et hors de Jéricho (Cisjordanie). Un deuxième accord intérimaire, dit Olso II ou de Taba, est signé le 28 septembre 1995 et prévoit la mise en place de l'autonomie et son extension à la Cisjordanie. Les territoires palestiniens sont morcelés et divisés en trois zones A, B et C et selon trois statuts distincts. Le secteur A représente, au terme des divers redéploiements, 18 % de la superficie de la Cisjordanie qui comprend essentiellement les grandes villes sauf Jérusalem-Est annexée ainsi qu’une grande partie d’Hébron. L’autorité palestinienne sera chargée de la totalité des pouvoirs civils et de la sécurité intérieure. Le secteur B qui comprend la grande majorité des villages palestiniens de Cisjordanie, soit 22 % de sa superficie. L’autorité palestinienne à tout le contrôle civil, mais doit partager le contrôle interne avec les forces israéliennes. De plus, ces dernières ont un droit permanent et unilatéral d’intervention. Enfin le secteur C, soit 60 % de la superficie de la Cisjordanie, demeure sous le contrôle propre d’Israël, c’est-à-dire reste occupé. Ce découpage littéralement kafkaïen imposé par le gouvernement israélien est accepté par les Palestiniens parce que non définitif. 

N’empêche qu’un tabou est levé en Israël; ce qui déchaîne la droite contre Itzhak Rabin cosignataire d'Oslo. À la veille de son assassinat par un extrémiste religieux juif, le 5 novembre 1995, le premier ministre est violemment pris à partie dans les manifestations d’ultrasionistes, où son effigie est affublée du keffieh de son nouveau partenaire et de signes nazis (Rabin est sûrement une des premières victimes de ce qu’on appelle aujourd’hui « l’antisémitisme sioniste »). Après son assassinat, le processus d’Oslo est freiné. L'arrivée au pouvoir, en mai 1996, du Likoud, et du gouvernement de Benyamin Netanyahu opposé à Oslo, mais débouche quand même deux ans plus tard à Wye River, aux États-Unis, sur la signature d’un mémorandum établissant un nouveau calendrier pour les redéploiements prévus par l’accord Oslo II et jamais réalisés. (Le premier véritable accroc à l’esprit d’Oslo, c’est lorsque seul Ariel Sharon, ministre des Affaires étrangères lors des renégociations de Wye, refuse de serrer la main à Arafat qui a « du sang juif sur les mains »). La victoire du travailliste Ehoud Barak, en 1999, entraîne une nouvelle renégociation rééchelonnant les redéploiements jamais réalisés. Le 5 septembre 1999, Arafat signe à Charm el-Cheikh, en Égypte, avec le premier ministre israélien Barak un accord intérimaire ouvrant la voie à des négociations sur un règlement de paix final. Toutefois, les négociations sur le statut définitif des territoires occupés, entre Yasser Arafat, Bill Clinton et Ehoud Barak échouent en juillet 2000 à Camp David. Après l’impasse crée par l’échec de Camp David et après la Visite le 28 septembre 2000 de Ariel Sharon, dirigeant du Likoud, sur l'esplanade des Mosquées à Jérusalem, éclate de violents affrontements qui gagnent vite la Cisjordanie et la bande de Gaza. Ces événements marquent le début de la deuxième Intifada. Les dernières discussions israélo-palestiniennes se tiennent à Taba, en janvier 2001. Elles s'achèvent également sur un échec, car le statut de Jérusalem, le sort des colonies de peuplement de Cisjordanie, le droit au retour des réfugiés de 1948 et de 1967 n’y étaient pas inscrits. 

Pourtant les paramètres d’une paix israélo-palestinienne n’ont pas à être subitement découverts : ils sont depuis bien longtemps connus de tous. Les frontières de l’État palestinien doivent être situées aussi près que possible de la ligne verte, la ligne du cessez-le-feu entre 1948 et 1967; les éventuelles annexions israéliennes doivent justement compenser en superficie et en qualité; Jérusalem devra devenir une ville à souveraineté partagée, Jérusalem-Est constituant la capitale du nouvel État; enfin, le droit au retour des réfugiés doit être respecté, conformément à la résolution 198 du Conseil de sécurité, qu’Israël lui-même a accepté pour prix de son entrée à l’ONU, mais n’a jamais respecté. Sur ces points fondamentaux, rien n’indique que les Palestiniens aient changé de position. Les Israéliens avaient cru très naïvement que Yasser Arafat et les siens avaient vraiment renoncé à lutter, qu’ils étaient convaincus de la nécessité de se contenter de ce que les Israéliens seraient prêts à leur restituer alors que le compromis territorial portait déjà sur la renonciation palestinienne à la souveraineté sur 78 % du territoire de la Palestine mandataire. Il n’était pas envisageable pour Arafat de donner son accord à une situation d’apartheid parce que ça c’est ce qui existe, et il n’y a pas besoin de signer un accord final pour cela. Renforcer la situation d’apartheid et non pas la franchir et on a là non seulement un endossement des propositions de Camp David, mais aussi un retour à l’esprit d’avant le processus d’Oslo dans lequel Arafat retrouve en un instant dans l’opinion israélienne ses oripeaux du passé. Et cela commence à peine l'échec du sommet annoncé lorsque se propage la version de « l'offre généreuse de Barak » et « la non-volonté de paix d'Arafat ». Ehoud Barak enfonce le clou quand il dit : « nous n'avons plus de partenaire pour la paix », « j'ai dévoilé le vrai visage d'Arafat », etc. Cependant, ce n’est pas la première fois dans l’histoire du conflit israélo-palestinien où un accord général était à porter de main que les Israéliens l’ont consciemment, délibérément, détruit. Cette fois, ils s’en tiennent à leur position sioniste de nier, non pas seulement le droit au retour des réfugiés palestiniens de 1948 et de 1967, mais le fait d’un État palestinien sur 22 % de la Palestine.

En 2001 Ariel Sharon devient premier ministre et dès décembre 2001, après une série d’attentats-suicides palestiniens, il confine Yasser Arafat dans son QG détruit de Ramallah, encerclée par les forces israéliennes. En réponse à ces événements Arafat, dans un discours radio télévisé prononcé le 16 décembre 2001 à la télévision palestinienne : « Il appelle de nouveau à l’arrêt total de toutes les opérations, notamment les attaques-suicides que nous avons toujours condamnées et leurs commanditaires et planificateurs auront à répondre de leurs actes. Je réitère aujourd’hui la nécessité de mettre fin, totalement et immédiatement, à toutes les opérations armées [...]. Le gouvernement d’Ariel Sharon mène une guerre farouche contre l’Autorité palestinienne, ses institutions, ses installations, sa police, ses services de sécurité et ses infrastructures, ainsi que contre nos citoyens, nos propriétés, nos écoles, nos hôpitaux, nos champs, nos mosquées et nos églises. C’est une guerre contre le peuple palestinien, son Autorité, ses ressources et sa sécurité sociale et économique, ainsi que contre son rêve légitime de bâtir un avenir sans occupation, répression ni humiliation [...]. Israël prévoit de mener des agressions militaires, et un siège de nos villes et de nos camps de réfugiés, d’occuper nos territoires, se servant des attaques contre les civils israéliens comme prétexte - des actes que nous avons toujours condamnés [...]. Les négociations sont l’unique moyen de résoudre le conflit. Je renouvelle mon appel au peuple israélien, à ses forces politiques, à ses institutions et à son gouvernement pour un retour immédiat à la table des négociations. Nous ne demandons pas l’impossible et ne présentons pas un danger pour l’existence d’Israël. » Or l’échec de Camp David puis de Taba montre qu’une telle normalisation est plus malaisée pour les Israéliens, qui n’en veulent pas d’ailleurs. Ainsi, au fur et à mesure que Yasser Arafat fait les compromis nécessaires, Israël se trouve devant l’image inversée de sa propre rigidité. C'est placé Arafat dans une situation impossible que de prétendre lui faire accepter en même temps le principe d’une paix israélo-palestinienne et la poursuite d'une politique d'annexion par Israël de territoires palestiniens toujours plus étendus.

Reste que les Israéliens ont retiré cette légitimité à Arafat, acquise à Oslo, de négocier. Et cela n’a pas commencé à l’arrivée de Sharon au pouvoir, mais dès l’échec des négociations de Camp David quand il y a eu impasse tellement les propositions qui lui sont faites pour une solution « définitive » sont en deçà des accords d’Oslo. La position du duo israélo-américain étant : « si la direction palestinienne ne veut pas de notre offre il n’y aura pas d’accord ». (Une partie de l’offre généreuse a consisté à dire « on leur donne les 95 % »; sauf qu’il s’agissait des 95 % des 22 %). Dès ce moment-là, Arafat n’est plus reconnu comme un interlocuteur valable. D'ailleurs, Ehoud Barak ne se gêna pas pour affirmer : « Nous n'avons plus de partenaire pour la paix. » Mais l’objectif était clair : ne plus avoir d’interlocuteur et donc pas de présence internationale pour négocier, pas de démantèlement des colonies, pas d’évacuation des territoires occupés, pas de droit au retour. Aujourd’hui, il reste aux Palestiniens à peu près 12 % du territoire de la Palestine historique.

Constatant le recul, il se peut que l’un des buts des propositions de Camp David ait été de déconsidérer Yasser Arafat. L’accession au pouvoir en mars 2001, d’Ariel Sharon, accélère la tactique de pourrissement commencé à Camp David. George W. Bush décrit Ariel Sharon comme un homme de paix et refuse à son tour de recevoir Arafat. Les attentats du 11 septembre confortent Sharon dans sa vision tranchée et lui fournissent l’occasion de lancer son fameux slogan : « Nous aussi avons notre Ben Laden : Arafat ». Sous le gouvernement Sharon, tous les symboles de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie et à Gaza sont pratiquement détruits, et Arafat est déclaré « hors jeu » par ce dernier. Un crédo partagé par Washington, qui fait du départ de Yasser Arafat une condition préalable à la création d’un État palestinien indépendant. Ainsi, George Bush, dans une déclaration à la Maison Blanche le 24 juin 2002 dira : « J’appelle les Palestiniens à élire de nouveaux dirigeants qui ne soient pas compromis dans le terrorisme, [...] et quand les Palestiniens auront de nouveaux dirigeants, de nouvelles institutions et de nouveaux accords de sécurité avec leurs voisins, les États-Unis défendront la création d’un État palestinien ». Depuis les États-Unis ont annoncé qu’ils poseraient leur veto à l’admission pleine et entière d’un État de Palestine aux Nations unies. Cette déclaration est faite à la suite de la demande par Mahmoud Abbas nouveau président de l’Autorité palestinienne de la reconnaissance d’un État palestinien à l’ONU. La mauvaise foi des États-Unis est si grande qu’ils nous disent à la fois qu’ils défendront la reconnaissance d’un État palestinien, et y mettraient leur veto si cela devait arriver. 

Refuser la solution à deux États, cela signifie la poursuite de la colonisation des territoires occupés. Lors des « négociations » de Camp David, on avait demandé à Yasser Arafat d’accepter que les Palestiniens expulsés de Palestine en 1948 et 1967 ne retournent pas. Le duo israélo-américain était convaincu que ce dernier était prêts à vendre littéralement le droit au retour contre un État palestinien sur une partie de la Cisjordanie et la bande de Gaza (à peu près 17 % de la Palestine historique et sans Jérusalem-Est). Ce qu’Israël avec la complicité des États-Unis n’accepte pas, c’est préalablement le principe du droit, parce que si les Palestiniens ont droit au retour, ça veut dire qu’ils ont été injustement chassés et donc que l’État d’Israël est construit sur « une purification ethnique ». Enfin pas tout à fait puisque l’État hébreu contient une minorité d’au moins un million de Palestiniens qui sont citoyens israéliens. Leur présence à elle seule a permis de poser la question de la contradiction entre l’État juif et l’État démocratique, entre l’État sioniste et l’État de tous ses citoyens, question à l'avenir posée pour tout le monde. Par exemple, le Ministre des Affaires Étrangères, Avigdor Lieberman, dans une déclaration du 9 janvier 2012 disait : « Tout règlement futur avec les Palestiniens devra prendre en compte la question des Arabes israéliens [sic], sinon ce serait un suicide politique ». C’est-à-dire...? C’est sûr, un million de Palestiniens, ça ne peut pas ne pas avoir d’impact sur la conception de l’État d’Israël en tant qu’État juif à terme. Est-ce à cela qu’il voulait faire allusion? N’empêche que la question est posée jusqu’au risque de relancer la notion de la « purification ethnique ». 

Maintenant, le fait que l’on cherche a constitué un État-nation palestinien qui serait conçu comme le résultat d’une solution politique, d’un règlement pacifique, fera rejaillir sa légitimité sur tous les États nés de la division de la région au lendemain de la Première Guerre mondiale entre les mandats français et britanniques, Israël inclus. Sinon son échec ne serait que la victoire des forces aveugles de guerre (celles d’Israël, de l’OTAN, de divers mouvements islamiques, de certains pays arabes — ensemble, cela, c’est déjà vu, ou séparément —), indifférentes à la survie du peuple palestinien. Mais ce serait donc dans de telles circonstances qu’Israël, les États-Unis et même l’ensemble du monde n’auraient pas fini de déplorer les occasions perdues, y compris celles qui restent encore possibles aujourd’hui. Parmi celles-ci, il y aurait la réactualisation des accords d’Oslo suspendus par Israël unilatéralement. Et cette réactualisation commencerait d’abord par l’engagement clair d’Israël envers l’Autorité palestinienne au coeur de ces accords. En attendant le président et successeur de Yasser Arafat à la tête de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas est déterminé encore cette année en guise de compromis (voyez comme les Palestiniens restent ouverts) à demander le statut exceptionnel d’« État sous occupation non membre de l’ONU » en réponse à la menace du veto américain l’année précédente.  Si les États-Unis votent pour ou s’abstiennent, alors le sort du monde sera peut-être changé à jamais.

lundi 23 avril 2012

Günter Grass, Israël et l’Iran



Dès lors, chaque fois qu'un pouvoir politique ou [et] religieux a cru appartenir à une civilisation "supérieure", cela s'est toujours traduit par les grands crimes d'État que furent la Traite, l'esclavage, les colonisations, le système des camps de concentration, les apartheids, les génocides ou les purifications ethniques qui aujourd'hui encore occupent la vie du monde.
Patrick Chamoiseau



Le dimanche 8 avril 2012, le ministre de l'Intérieur d’Israël Elie Yishai a déclaré « Günter Grass persona non grata en Israël » en ajoutant que « le poème de Günter est une tentative d'attiser les flammes de la haine contre l'État d'Israël et contre le peuple israélien ». Et il concluait : « Si Günter veut continuer à disséminer ses oeuvres déformées et mensongères, je lui conseille de le faire depuis l'Iran, où il trouvera un public qui le soutient ». 

Dernier épisode d’une histoire qui a commencé le 2 avril par la publication sous forme d’un poème dans lequel Günter Grass accuse Israël de menacer la paix mondiale. Ce texte en prose intitulé « Ce qui doit être dit » et paru dans le grand quotidien de Munich, le Süddeutsche Zeitung, a valu à son auteur d'être violemment accusé d'antisémitisme. Son « poème-éditorial » justement porte entre autres sur cette accusation d’antisémitisme à laquelle il savait ne pouvoir échapper. C’est à cette accusation grave qu’il faudrait s’attaquer en premier lieu, au lieu d’en lancer de nouvelles, fondées sur une lecture partisane du poème de Grass. Que dit donc ce poème, puisqu’il faut bien chercher sur quoi prétend reposer l’accusation maintenant courante d’antisémitisme dès l’instant qu’on prend position contre la politique israélienne :

Pourquoi me taire, pourquoi taire trop longtemps. Ce qui est manifeste, ce à quoi l'on s'est exercé dans des jeux de stratégie au terme desquels nous autres survivants sommes tout au plus des notes de bas de pages. 
C'est le droit affirmé à la première frappe susceptible d'effacer un peuple iranien soumis au joug d'une grande gueule qui le guide vers la liesse organisée, sous prétexte qu'on le soupçonne, dans sa zone de pouvoir, de construire une bombe atomique. 
Mais pourquoi est-ce que je m'interdis? De désigner par son nom cet autre pays. Dans lequel depuis des années, même si c'est en secret, on dispose d'un potentiel nucléaire en expansion, mais sans contrôle, parce qu'inaccessible à toute vérification? 
Le silence général sur cet état de fait silence auquel s'est soumis mon propre silence, pèse sur moi comme un mensonge une contrainte qui s'exerce sous peine de sanction en cas de transgression; le verdict d'"antisémitisme" est courant. 
Mais à présent, parce que de mon pays, régulièrement rattrapé par des crimes qui lui sont propres, sans pareils, et pour lesquels on lui demande des comptes, de ce pays-là, une fois de plus, selon la pure règle des affaires, quoiqu'en le présentant habilement comme une réparation, de ce pays, disais-je, Israël attend la livraison d'un autre sous-marin dont la spécialité est de pouvoir orienter des têtes explosives capables de tout réduire à néant en direction d'un lieu où l'on n'a pu prouver l'existence ne fût-ce que d'une seule bombe atomique, mais où la seule crainte veut avoir force de preuve, je dis ce qui doit être dit. 
Mais pourquoi me suis-je tu jusqu'ici? Parce que je pensais que mon origine, entachée d'une tare à tout jamais ineffaçable, m’interdit de suspecter de ce fait, comme d'une vérité avérée, le pays d'Israël, auquel je suis lié et veux rester lié. 
Pourquoi ai-je attendu ce jour pour le dire, vieilli, et de ma dernière encre : la puissance atomique d'Israël menace une paix du monde déjà fragile? Parce qu'il faut dire, ce qui, dit demain, pourrait déjà l'être trop tard : et aussi parce que nous — Allemands, qui en avons bien assez comme cela sur la conscience — pourrions fournir l'arme d'un crime prévisible, raison pour laquelle aucun des subterfuges habituels n'effacerait notre complicité. 
Et admettons-le : je ne me tais plus, parce que je suis las de l'hypocrisie de l'Occident; il faut en outre espérer que beaucoup puissent se libérer du silence, et inviter aussi celui qui fait peser cette menace flagrante à renoncer à la violence qu'ils réclament pareillement un contrôle permanent et sans entraves du potentiel nucléaire israélien et des installations nucléaires iraniennes exercé par une instance internationale et accepté par les gouvernements des deux pays. 
C'est la seule manière dont nous puissions les aider tous, Israéliens, Palestiniens, plus encore, tous ceux qui, dans cette région occupée par le délire vivent côte à côte en ennemis. Et puis aussi, au bout du compte, nous aider nous-mêmes. (Günter Grass Traduit de l'allemand par Olivier Mannoni, Le Monde.fr).

Où est l’antisémitisme, où peut-il bien être? On lit, on cherche. Est-ce le fait qu’il dénonce un « prétendu droit d’Israël à attaquer le premier »? D’accord, il est allemand, il a admis avoir fait partie des Waffen SS dans sa jeunesse et il ne s’identifie pas à la politique sioniste de l’État d’Israël (un pléonasme, sans aucun doute). Mais que dire d’un juif qui n’est pas israélien, ni sioniste? Que dire d’un juif résistant à l’identification avec l’État d’Israël, et refusant de voir en celui-ci son vrai foyer? Serait-il à son tour accusé d’antisémitisme par manque de ferveur sioniste? À en croire John Baird, le ministre des Affaires étrangères du Canada qui a déclaré que son pays « ne se tient pas derrière Israël, mais à ses côtés. Israël n’a pas de meilleur ami au monde que le Canada ». Le ministre s’exprimait ainsi à la douzième conférence d’Hertzlya, estimant par ailleurs que « la volonté de délégitimer et de diaboliser Israël était une nouvelle forme d’antisémitisme ». N’est-ce pas une forme subtile d’antisémitisme que de refuser à un juif ou à un non-juif d’ailleurs, le droit d’être révolté par rapport à la politique de l’État Israël, alors que ce type de révolte est admis et même vénéré lorsqu’il s’agit d’autres États (comme ceux, par exemple, des pays de l’Est)? Est-il vraiment raisonnable au nom de la lutte contre l’antisémitisme de pratiquer ce qu’il faut bien appeler l’« antisémitisme sioniste » comme le ministre Baird? Si la réponse est positive. Alors, il n’y a rien d’étonnant à ce que Grass soit qualifié d’antisémite du reste lui-même, en parlant de briser son propre silence, savait que « le verdict d'antisémitisme tombera automatiquement » sur qui le romprait.

Grass a dit ce qui doit être dit, et le poème ne cesse de le clamer, de la façon la plus simple et la plus évidente. Le crime qui se prépare contre l’Iran pourrait mener à « l'éradication du peuple iranien ». Il appelle les Allemands, « déjà suffisamment accablés par des crimes qui leur sont propres », à ne pas devenir complices d'un « crime prévisible » en fournissant des armes de destruction massive. Il y mentionne plus particulièrement la livraison d’un super sous-marin, le Dolphin INS Tanin équipé de missiles de croisière de 1500 km de portée, munis d’ogives nucléaires de 200 kilotonnes, qui vient renforcer, nous dit-on, la flotte d’Israël. Il dénonce donc l’Allemagne qui sous prétexte d’une dette infinie à l’égard des Juifs est prête à participer à la destruction de l’Iran. Il dénonce la loi du silence autour de l’arsenal nucléaire israélien qui par le fait même n’existant pas est officiellement soustrait à tout contrôle international. La duplicité de la communauté internationale est totale, car alors qu’une seule bombe atomique iranienne purement virtuelle lui donne des sueurs froides, l’arsenal nucléaire israélien ne suscite aucune angoisse. 

Bénéficiant de clauses dérogatoires au droit commun, l’arsenal nucléaire israélien plane comme une épée de Damoclès au-dessus du Proche-Orient et notamment ces temps-ci au-dessus de l’Iran. Car les puissances occidentales ont beau prêter de coupables desseins à l’Iran tout en accordant leur approbation tacite à l’État hébreu, la réalité demeure : les missiles sont en Israël et les cibles en Iran (cela rappelle l’épisode des missiles Perching en Europe). Et comble d’hypocrisie, c’est à l’Iran dont la disparition est constamment à l’ordre du jour que les puissances occidentales demandent des garanties. Une étrange médiation concernant le programme nucléaire iranien fut ainsi confiée aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU (États-Unis, Chine, Russie, France, Royaume-Uni) plus l’Allemagne (G5+1) dont le parti pris maintenant n’est plus un secret pour personne. Ainsi, le 14 avril s’ouvrait à Istanbul, Turquie, un nouveau cycle de pourparlers entre l’Iran et le groupe 5+1 à la suite duquel ils ont décidé de se retrouver le 23 mai à Bagdad, Irak, pour fixer un cadre de négociations. Le processus de négociations portera comme à l’accoutumée sur le nucléaire, Téhéran réaffirmant son droit à l’enrichissement de l’uranium, ses interlocuteurs prétendant qu’il cherche en réalité à acquérir l’arme nucléaire et Téhéran réfutant leurs affirmations, en disant qu’en tant que membre de l’Agence internationale de l’énergie atomique, et signataire du traité de non-prolifération des armes nucléaires, il a parfaitement le droit à un usage pacifique de l’énergie nucléaire. Le dialogue de sourds va se perpétué puisque le seul problème abordé c’est le nucléaire iranien et jamais le nucléaire israélien, et pourtant Israël, puissance nucléaire « sauvage », non membre du TNP, et qui a largement de quoi dissuader l'Iran — les estimations de l'arsenal israélien vont de 75 à quelques 200 têtes nucléaires nous dit-on. 

Mais pourquoi avoir ajouté l’Allemagne au groupe des cinq? Est-ce à cause de cette dette infinie, de cette réparation que l’Allemagne a à l’égard des Juifs dont nous parle Grass? Mais qu’est-ce cette réparation en réaction à l'émotion du judéocide qui considère le sionisme puis l’État d’Israël comme une réponse appropriée? Pourquoi faire payer aux Palestiniens, aux Libanais, aux Irakiens, et bientôt aux Iraniens l’inoubliable génocide allemand? C’est là que l’injustice commence aussi bien que les actes de violence par rapport à l’ensemble du monde arabe qui singulièrement n’y a pas trempé. Que l’Allemagne responsable hier du plus grand génocide juif de l’histoire participe à la continuation, à l’extension du sionisme et à la désarabilisation de la Palestine est visiblement le gage d’une « pureté historique retrouvée » auprès des cinq membres du Conseil de sécurité de l'ONU. Bref, il était déjà pénible que l’holocauste serve à justifier le mouvement sioniste, il sanctifie maintenant la politique guerrière israélienne contre l’Iran.  

Cependant aujourd’hui il ne s'agit pas de l'histoire de l'Allemagne. Il s'agit du présent d’une guerre annoncée. Le débat porte sur Israël. Et sur le fait qu'Israël prépare une guerre préventive contre l'Iran, une guerre qui peut plonger le monde dans l'abîme. Le chef du Mossad, Tamir Pardo, est allé au début du mois de février aux États-Unis afin d'évoquer la préoccupation d'Israël face au programme nucléaire iranien et sonder la réaction de Washington en cas d'attaque préventive contre la République islamique. Le directeur national du renseignement (DNI) des États-Unis, James Clapper, se rendait fin février en Israël pour évoquer le dossier iranien, sur fond de rumeurs concernant une éventuelle attaque israélienne contre les installations nucléaires de Téhéran. Tandis que le premier ministre d’Israël, Benjamin Nétanyahou s’est rendu spécialement début mars au Canada et aux États-Unis pour parler publiquement d’une opération militaire préventive contre l'Iran, mais sans que cela émeuve grand monde comme si tout cela était naturelle. Pourtant, on nous dit qu’une puissante attaque militaire qui fera nécessairement appel à l'arme nucléaire est en cours de préparation contre l'Iran. Il semble que l'heure depuis longtemps annoncée ait sonné pour la mise en condition des opinions publiques en vue d'une intervention en Iran. Au départ israélienne, l’intervention préventive est maintenant une stratégie américano-anglaise, acceptée par les autres. Les consultations entre Washington, Paris, et Berlin sont permanentes. Contrairement à l’invasion de l’Irak, qui fut refusée par la France et l’Allemagne au plan diplomatique, Washington a obtenu un consensus au sein de l’OTAN. Ce consensus concerne également une guerre nucléaire qui pourrait affecter, nous dit-on, une grande partie du Proche-Orient et de l’Asie centrale. De plus, un certain nombre de pays arabes limitrophes sont aujourd’hui des partenaires tacites du projet militaire américano-anglais et israélien. Avec les risques d’une riposte iranienne, les frappes sur l'Iran relèveront de bombardements prolongés, et pas d'une opération « chirurgicale » sur des sites nucléaires afin d’empêcher l’Iran de fabriquer des armes nucléaires. Les frappes devront être massives et utiliser des armes nucléaires tactiques. La mise en condition des opinions publiques devra donc être efficace, car c’est une guerre à millions de morts.  

Günter Grass a raison, on nous mène à la guerre nucléaire et l’opinion mondiale se tait terrorisée par les accusations possibles d’antisémitisme.   



























dimanche 11 mars 2012

Un road-movie œdipien

L’un des meilleurs films québécois de l’année 2011 « En terrains connus » de Stéphane Lafleur ne sera pas de la soirée des Jutra le 11 mars.



Dans la banlieue de Montréal, le quotidien d’un frère et d’une soeur est bouleversé à la suite d’incidents fortuits et de la rencontre d’un homme prétendant venir du futur. Le garagiste du coin revient en effet « de pas ben ben loin » dans le temps pour annoncer à Benoît, son frère, le futur accident d’auto de sa sœur qui seule restera dans l’ignorance de la prophétie. Cette rencontre les plonge dans une sorte de « road-movie œdipien » qui changera leur destinée en changeant leur funeste destin. Ce n’est pas par hasard, que le frère se fait un « roman œdipien » et que la tentative d’y échapper doit être trouvée dans les méandres du mythe d’Œdipe! L’histoire d’Œdipe, c’est l’histoire d’un destin impossible à éviter. Il fut prédit aux parents d’Œdipe que leur fils tuerait son père et épouserait sa mère, mais les initiatives mêmes qu’ils prirent pour éviter ce sort assurèrent l’accomplissement de la prédiction. C’est-à-dire sans cette tentative pour se soustraire au destin, celui-ci n’aurait pu se concrétiser.  Rompant avec la voie œdipienne, le film de Stéphane Lafleur est en quelque sorte l’inverse, à savoir que le frère accepte la prophétie du garagiste comme inévitable, et il va jusqu’à volontairement provoquer un accident de voiture pour rompre l’étreinte du destin. Le film joue merveilleusement de tout cela. 


Cette violente intrusion absurde du futur dans le quotidien est quelque chose à quoi Benoît n’est absolument pas prêt, mais qui le serait... Ce film d’ailleurs remet finement en cause tous ces gens voyants (antes), cartomanciens (iennes), etc. qui prédisent le futur, en montrant bien l’impact proprement traumatique d’une telle prophétie. Mais heureusement, le plus souvent ils prédisent des insignifiances ou des choses préexistantes. Du reste, les dernières secondes du film ouvrent la voie à une divination du genre, « un prochain bel été » comme l’a prédit l’homme du futur tandis que sa soeur maintenant sauvée sourit à la vie libre de tout destin.

Bref, la non-sélection du film « En terrains connus » vient donc ternir un peu plus l'image d'une organisation dont la crédibilité est mise à mal auprès du public, mais aussi des professionnels.

vendredi 20 janvier 2012

Comme Mugesera Harper incite au meurtre de masse

Stephen Harper


Au moment où Stephen Harper prononce un discours incitant à la violence et au meurtre délibéré. Léon Mugesera est renvoyé du Canada pour avoir prononcé en 1992 un discours « d’incitation à la haine, au génocide et au meurtre et a commis un crime contre l’humanité » selon le juge Shore de la Cour suprême du Canada.

Le premier ministre du Canada Stephen Harper a qualifié l'escalade de la tension entre l'Iran et les puissances occidentales de grande menace à la paix mondiale. Il a tenu ces propos à l'occasion d'une entrevue diffusée le 5 janvier 2012 à l'émission Rutherford Show, une émission radiophonique très écoutée en Alberta, au moment où les tensions ne cessent de croître dans le golfe Persique. M. Harper a souligné que les auditeurs ne devraient pas se faire d'illusions et que l'Iran était une menace « très sérieuse » à la paix internationale et à la sécurité. Il a ajouté qu'il ne doutait pas un seul instant que Téhéran ait pour objectif d'obtenir l'arme nucléaire et se préparait à en faire usage. « À mon avis, l'Iran est la menace la plus sérieuse à l'échelle internationale pour ce qui est de la paix et la sécurité mondiale », a affirmé M. Harper. « Il s'agit d'un régime qui veut acquérir l'arme nucléaire et qui a démontré une certaine envie de carrément utiliser l'armement nucléaire », a ajouté le premier ministre. Il a aussi plaidé que la possible fermeture du détroit d'Ormuz n'était qu'une preuve supplémentaire démontrant le « sérieux de la menace » représentée par l'Iran.

Ceci est véritablement un appel à la guerre préventive, au meurtre de masse. Il n'est pas question pour M. Harper de répondre à une attaque, mais bien de prendre les devants. Bien sûr, on peut toujours trouver excessif le rapprochement du discours de ce dernier de celui de M. Mugesera qui a été qualifié d’incitation au génocide, mais cela n’efface pas qu’il suggère d’attaquer avant d'être attaqué. Et ici, on parle de bombes nucléaires. Toutefois, il pourrait arguer, comme l’avait fait M. Mugesera, qu'il s'agit d'un discours appelant à la légitime défense et non à l’incitation à la violence, au meurtre ou au génocide.  Mais une guerre préventive peut-elle être considérée comme de la légitime défense, quand il n'y a pas d'attaquant immédiat, mais un pays à qui on prête l'intention de tenter d'obtenir l'arme nucléaire? Le droit individuel, ou collectif de légitime défense est prévu à la Charte des Nations Unies. Le sens est probablement le même dans la plupart des législations. En bref, il s'agit d'une riposte nécessaire et proportionnée à une menace concrète et directe. Il ne peut pas y avoir de légitime défense en cas de menace d'un mal futur, ni pour se faire justice de façon préventive, ni pour se venger d'un événement passé comme la Révolution iranienne. On ne voit pas en conséquence comment se justifierait le droit naturel de légitime défense dans ce discours dans lequel M. Harper propose d'attaquer avant d'être attaqué. 

Qu'est-ce qui fait donc qu’encourager une guerre préventive est un crime en soi, et peut être qualifié de crime contre l'humanité? On enseigne que, pour qu'un crime soit qualifié de crime contre l'humanité, un élément supplémentaire est requis tant pour l'aspect matériel que pour l'aspect moral du crime. Du côté plus « technique », il faut que le crime soit commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes. L'acte devra être cruel et choquer la conscience des gens sensés et donc revêtir un élément supplémentaire d'inhumanité. Enfin, la personne à qui l'on reproche l'acte doit être consciente des conditions qui rendent l'acte inhumain. Après l’Irak, M. Harper ne peut être que conscient de l’acte inhumain que constitue une guerre préventive. Et compte tenu du contexte, il sait que ses paroles vont être comprises comme une incitation à la guerre contre l’Iran. Quant à l'élément moral, il avait spécifiquement l'intention de soulever, par son discours, les auditeurs contre l’Iran. Il va de soi que l'encouragement à des meurtres, et, ils s'en commettent déjà - à l’exemple des meurtres de scientifiques iraniens - heurte la conscience des gens sensés.
  
À l’exemple du génocide de 1994 au Rwanda qui était survenu un an et demi après le discours du M. Mugesera. Ce n'est pas par l'horreur des événements de 1994 que l'on peut justifier l'inhumanité du discours du 22 novembre 1992. Mais bien parce que déjà, entre le 1er octobre 1990 et le 22 novembre 1992, on avait la preuve que près de 2000 Tutsi avaient été tués au Rwanda. Et les Tutsi avaient fait l'objet d'autres discriminations et massacres durant les années antérieures. Pareillement, pour M. Harper, ce n’est pas dans les crimes à venir (certains n’écartent pas l’usage d’armes nucléaires tactiques) que son discours du 5 janvier 2012 peut être qualifié d’inhumain, mais bien par les crimes commis déjà en Irak (une étude sortie dans la revue médicale The Lancet parlait de 655.000 morts parmi les civils), des crimes commis en Libye comme dans la ville de Syrte et de tous les massacres perpétrés dans d’autres pays tels que l’Afghanistan, la Somalie. 

Il est grand temps que les citoyens canadiens se réveillent et affirment que l’Iran ne sera pas le prochain pays renvoyé à « l’âge de pierre »!