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dimanche 23 septembre 2012

Yasser Arafat par lui-même



Le président Arafat restera à
jamais un symbole d’héroïsme
pour tous les peuples du monde
qui luttent pour la justice et la liberté.
Nelson Mandela



Dans L’Impossible, on lit sous la plume de Michel Butel qu’ « Arafat fut un combattant d'une intelligence tactique extraordinaire, d'une ruse constante, doué de qualités hors du commun. Mais lui manqua Ia parole. Prononcer des phrases simples. Dire à son peuple : “ Il y aura dorénavant et à jamais un État israélien à côté de notre État. C'est un honneur pour nous, Arabes, d'héberger le peuple d'lsraël. Les Juifs, l'Occident Ies a exterminés, nous, nous les recevons, nous les accueillons.” ll aurait fait des Palestiniens un peuple fier des paroles que prononçait son chef et qui valaient serment devant l'Histoire. Le sort du Monde en eût été changé à jamais. C’est cela la parole. »

Quelle bizarrerie de demander à l’exilé d’accueillir celui qui a causé son exil. Au jour d'aujourd'hui, on rappelle que les Palestiniens sont toujours en demande de reconnaissance d’un État de Palestine à l’ONU à côté de l’État d’Israël. D’où l’invraisemblance de cette parole qui ne nous dit pas comment les Palestiniens qui n’ont toujours pas de pays puisqu’on le leur a enlevé pourraient-ils se prononcer pour l’« hébergement du peuple d’Israël » ? C’est pour cela qu’une telle parole défendant le droit au retour des Israéliens dans la bouche de Yasser Arafat, ça sonne mal. Car il y a une limite à vouloir faire de Yasser Arafat « le Moïse de la Palestine ». Il est décisif pour cette parole « butelienne » que ce qui est devenu une fois reviendra une fois encore, car « retour » veut dire la possibilité de reconnaître et d’appeler le même : « le peuple d’Israël ». Ainsi naît une symétrie tout à fait singulière dans la mesure où, au retour de celui qui, d’un côté, l’a écrit comme son commencement correspond de l’autre côté, le retour de celui qui le perçoit comme un mouvement de libération nationale. Michel Butel nous renvoie à la genèse qui participe de la légende du droit au retour vers le pays de la Torah. Comme l’a écrit le poète Mahmoud Darwirch : « Celui qui impose son récit hérite la Terre du Récit ».

L’intérêt de Butel pour Arafat, par-delà les louanges, est donc perçu à travers ce retour en terre d’Israël comme si l’Histoire n’avait pas continué pendant que le peuple d’Israël n’était pas là, comme s’il n’y avait personne et que la terre de Palestine n’avait qu’une fonction : celle d’attendre le peuple d’Israël, ce qui depuis est devenu une vérité puis une réalité. C’est bien la Bible qui fait tenir cette parole butelienne debout. Cette dernière est une vision religieuse et sioniste, ce n’est pas une vision historique puisque seuls les Juifs auraient un passé même s’il faut remonter à plus de deux mille ans en arrière. Mais il reste que Butel ne peut pas ignorer la place conquise par Israël en Palestine. Tout cela est très bien, à cela près que l’on est en droit de se demander ce qu’il en est de Yasser Arafat dans cette histoire. Il se rappelle, comme tout Palestinien, qu’il avait une patrie et qu’il en a été exilé. 

On force un peu le trait pour montrer l’énormité de cette parole sortie d’une bouche aspirée par le sionisme puisqu’elle demande aux seuls Palestiniens dont la disparition est constamment à l’ordre du jour de reconnaître pour la énième fois Israël. Michel Butel, après bien d’autres, se retourne seulement vers la reconnaissance d’Israël sans interroger l’autre partie qui avec la complicité presque unanime des Occidentaux, avec des différences et des réserves diverses, ne cesse de nier le fait concret d’un peuple palestinien. Et aujourd'hui, nous avons l’Occident tel que défini ci-dessus par Butel, dans le même camp qu’Israël et contre les Palestiniens. C’est sûr que les Occidentaux après le plus grand génocide de l’histoire devaient réparation au peuple juif. Mais cette réparation, ils la firent payer par un peuple innocent de tout Holocauste. Dire que nous devons prendre conscience de la réalité de l’Holocauste ne signifie aucunement accepter l’idée selon laquelle l’Holocauste excuse le sionisme du mal fait aux Palestiniens. Mais peut-être plus infâme encore : c’est que cette réparation les Occidentaux la firent passer par et dans le développement du sionisme qui lui part de la nécessité de l’absence des Palestiniens. Si le dictionnaire Robert donne du mot « sionisme » (1886) la définition suivante : « Mouvement politique visant à l’établissement puis à la consolidation d’un État juif en Palestine ». Il faut ajouter à cela la formule mille fois répétée, que « le sionisme, c’est un peuple sans terre qui revient à une terre sans peuple » (c’est-à-dire la disparition du peuple palestinien). 

Aujourd’hui comme hier l’empêcheur, c’est le Palestinien à l’image de Yasser Arafat pour qui justement la lutte était de ramener son peuple à la visibilité et le sortir de l’absence forcée dans laquelle le sionisme puis Israël avaient rêvé (et rêve encore) de le voir disparaître. Sans doute est-il un peu facile de s’abriter derrière des citations, mais il est une parole d’une telle importance pour les propos qui vont suivre et pour enlever toute ambiguïté sur l’action de Yasser Arafat qu’on se permet de la rappeler. Voici donc ce que disait Elias Sanbar à la mort d’Arafat en novembre 2004 : « Il a mené le combat des siens pour la reconquête de leur nom, Palestiniens, et les tirer ainsi de l’effacement imposé vers la visibilité, évidence incontournable qu’ils existaient et que leurs droits étaient identiques à ceux de tous les hommes. »

La fin de l’effacement des Palestiniens commence en 1959 au Koweït, Arafat fonde le Fatah, mouvement de libération nationale palestinien qui intégrera plus tard l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), née en 1964 lors d'un sommet arabe organisé sous l’égide du président égyptien Gamal Abbel Nasser. En 1964, la Charte de l’OLP se fixe comme objectif « la destruction de l’État juif ». Cependant, c’est la bataille de Karameh, en Jordanie, en mars 1968, qui propulse le Fatah et Yasser Arafat au summum de leur popularité lorsqu’il fait front avec ses fedayins aux troupes israéliennes et met en échec avec l’aide de l’armée jordanienne une incursion d’envergure (déjà) menée par l’aviation, des chars et des parachutistes israéliens. En février 1969, il est élu président du comité exécutif de l’OLP. Il peut enfin orienter la centrale palestinienne comme le démontre la résolution du Conseil national palestinien sur l'édification d'une « société libre et démocratique en Palestine, pour tous les Palestiniens, qu'ils soient musulmans, chrétiens ou juifs ». C’est-à-dire que les habitants juifs se voient dénier toute identité nationale propre. Dans ce concept il n’y a pas d’État palestinien aux côtés d’Israël. À sa place est prônée l’émergence d'un État « désionisé », laïque et démocratique, à égalité de droits pour tous ses habitants. On voit tout de suite quelle direction Arafat entendait prendre et assez vite l’idée première — « les Israéliens doivent retourner d’où ils viennent » — est abandonnée puisqu’ils sont intégrés dans le grand tout : la Palestine. Or l'OLP qui réclamait le démantèlement de « l'entité sioniste » au profit d’un État laïque et démocratique où cohabiteraient les trois religions monothéistes, et cetera, restera lettre morte. Les Palestiniens eux-mêmes abandonneront après diverses pressions et la guerre d’octobre 1973 entre l’Égypte, la Syrie et Israël le concept d’État démocratique pour celui d’un État palestinien c’est-à-dire la séparation des deux sociétés, palestinienne et israélienne.

En octobre 1974, au sommet arabe de Rabat, l'OLP est reconnue comme « seul représentant légitime du peuple palestinien ». S’ensuit un début de reconnaissance internationale. Le 13 novembre, à la tribune de l'ONU, Yasser Arafat déclare : « Je suis venu porteur d'un rameau d'olivier et d'un fusil de révolutionnaire. Ne laissez pas tomber le rameau de ma main. » Cette reconnaissance de l’OLP modifie radicalement son rapport aux Israéliens. Mais il faudra cependant attendre une quinzaine d’années supplémentaires (le 15 novembre 1988 plus précisément) pour que Yasser Arafat obtienne une large majorité au Conseil national palestinien en faveur de la création d’un État indépendant en Palestine à côté d’Israël dans les territoires occupés par ce dernier depuis 1967. Dorénavant, l’« entité sioniste » laisse place à Israël, accepté comme État sur le territoire qui lui est internationalement reconnu. Et la reconnaissance d’une société nationale israélienne intrinsèque est explicitement admise. Quelques mois après, au printemps 1989 en France, Arafat déclarait « caduque » la charte de son organisation prônant la destruction de l’État hébreu. Ce qui valait « serment devant l'Histoire » pour le dire comme Michel Butel. En reconnaissant Israël, Arafat était parvenu à son objectif politique majeur : la fin de l’effacement des Palestiniens, la reconnaissance de leur identité et de la légitimité de leur mouvement national. 

De leur côté, les autorités israéliennes vont évoluer de la négation pure et simple de l’existence d’un peuple palestinien exprimée par Golda Meir vers la tentative de favoriser l’émergence de pouvoirs locaux alternatifs à l’OLP, allant même jusqu’à la tolérance envers des mouvements islamistes situés dans l’orbite des Frères musulmans égyptiens pour contrer le mouvement national palestinien. Encore aujourd’hui un des buts d’Israël n’est-il pas la dissolution de l’OLP, voire de l’Autorité palestinienne, dans l’intégrisme musulman? Éviter toute reconnaissance de l’OLP connaîtra un autre avatar après que Yasser Arafat ait commencé à rencontrer régulièrement des Israéliens dont des députés après son éviction de Beyrouth. En réaction, la Knesset adoptera, en 1986, une loi interdisant aux ressortissants israéliens de rencontrer des membres de l’OLP, sous peine de prison. Encore, deux ans avant les accords d’Oslo en 1991, dans la composition de la délégation palestinienne dépêchée à Madrid à l’occasion de la conférence voulue par l’administration américaine, on retrouvait des Palestiniens, mais « de l’intérieur » et seulement au sein de la délégation jordanienne, pour tenter d’éviter la présence directe de l’OLP en tant que telle. Mais c’est ces mêmes Palestiniens de l’intérieur qui vont se soulever en ramenant la question palestinienne au lieu de la question. La première Intifada 1987-1993 est une « révolte des pierres » et une mobilisation populaire. Et ce que lancent les Palestiniens, ce sont leurs propres pierres, les pierres vivantes de leur pays. L’Intifada, dans les territoires occupés par Israël, changera la donne, soudant de nouveau l’OLP et brisant son isolement politique (suite à son soutien de Saddam Hussein pendant la première guerre du Golfe, 1990-1991). Les Palestiniens à la force des pierres vont obliger Israël, après des décennies de déni du fait national palestinien, durant lesquelles tous les gouvernements israéliens n’avaient cessé de marteler que « jamais ils ne reconnaitraient ni ne négocieraient avec cette organisation terroriste », à reconnaître l’OLP comme représentant du peuple palestinien (préambule des accords d’Oslo, août 1993). Une page se tourne. 

Le 9 septembre 1993 donc comme président de l'Organisation de libération de la Palestine (l'OLP), Arafat reconnaît Israël et son droit à l’existence et en retour Israël reconnaît l’OLP comme le représentant du peuple palestinien. Le 13 septembre, il signe les accords d’Oslo (appelé ainsi, car négocié secrètement pendant plusieurs mois à Oslo) à Washington en présence de Yitzhak Rabin, premier ministre d'Israël,et de Bill Clinton, président des États-Unis, en vue de trouver une solution au conflit israélo-palestinien. Ce 13 septembre 1993 est sûrement un des plus beaux jours pour Arafat, il est resplendissant, c’est lui qui va vraisemblablement en dehors du protocole établi, serrer chaleureusement la main de Rabin, mais ce dernier, surpris, a spontanément un petit mouvement de recule.  À cette occasion sur le parvis de la Maison Blanche, Arafat déclarera : « Je souhaite exprimer notre très haute estime au président Clinton et à son administration pour avoir parrainé cet événement attendu par le monde entier. [...] Notre peuple ne considère pas que l’exercice de son droit à l’autodétermination puisse violer les droits de ses voisins ou porter atteinte à leur sécurité. Au contraire, mettre fin à notre sentiment d’avoir subi une injustice historique constitue la plus ferme garantie pour parvenir à une coexistence entre nos deux peuples et les générations futures. » Le 1er juillet 1994, il fait un retour triomphal en Palestine. En octobre de la même année, Yasser Arafat reçoit le prix Nobel de la Paix, avec Yitzhak Rabin et Shimon Peres.

Maintenant, sans rentrer dans le détail des accords, comment Arafat a-t-il pu penser que le processus d’Oslo allait rendre justice aux Palestiniens? Robert Malley (ancien conseiller spécial du président Bill Clinton pour les affaires israélo-arabes), par exemple, se posait la question : « Saura-t-on un jour si Arafat a réellement “lu” les accords d’Oslo? » Est-ce à dire qu’a supposé qu’il les aurait lus; n’aurait-il pas dû les signer? On pourrait, sans la condescendance affichée par le représentant des États-Unis, effectivement se poser la question quand on sait la concession extrême, le compromis historique, anciennement inconcevable qu’il a donné en amont de toute négociation, en faisant porter la négociation sur 22 % du territoire de la Palestine mandataire (d’avant 1948). De plus, des questions clés comme les frontières du nouvel État, le problème de l’eau, le statut de Jérusalem, le sort des colonies de peuplement de Cisjordanie, le droit au retour des réfugiés de 1948 et de 1967, n’y étaient pas inscrites. Mais aurait-il accepté moins que le droit international, il aurait signé quand même les fameux accords intérimaires, car justement intérimaires. Du même coup, Arafat libère la conscience israélienne de l’illusion que les Palestiniens auraient perdu leur mémoire collective puisque pour la première fois depuis 1948 la Palestine repart de chez elle. Du reste, la principale conséquence positive de ces accords fut la création d'un gouvernement palestinien, formant l'Autorité nationale palestinienne en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Et que le 20 janvier 1996, Yasser Arafat est élu premier président de l'Autorité palestinienne lors des premières élections générales palestiniennes. 

Ces accords à venir consistent donc en une déclaration de principes sur des modalités intérimaires d'autonomie pour les territoires occupés, s'appliquant, avec plusieurs échéances, à une période de cinq ans, au terme de laquelle devait entrer en vigueur le statut définitif, préalablement négocié, de ces territoires. Le premier accord intérimaire, dit Oslo 1 ou Gaza-Jéricho, est signé le 4 mai 1994 au Caire et prévoit la mise en place de l’Autorité palestinienne et une autonomie progressive et partielle des territoires, et d'un premier retrait de l’armée israélienne dans la bande de Gaza et hors de Jéricho (Cisjordanie). Un deuxième accord intérimaire, dit Olso II ou de Taba, est signé le 28 septembre 1995 et prévoit la mise en place de l'autonomie et son extension à la Cisjordanie. Les territoires palestiniens sont morcelés et divisés en trois zones A, B et C et selon trois statuts distincts. Le secteur A représente, au terme des divers redéploiements, 18 % de la superficie de la Cisjordanie qui comprend essentiellement les grandes villes sauf Jérusalem-Est annexée ainsi qu’une grande partie d’Hébron. L’autorité palestinienne sera chargée de la totalité des pouvoirs civils et de la sécurité intérieure. Le secteur B qui comprend la grande majorité des villages palestiniens de Cisjordanie, soit 22 % de sa superficie. L’autorité palestinienne à tout le contrôle civil, mais doit partager le contrôle interne avec les forces israéliennes. De plus, ces dernières ont un droit permanent et unilatéral d’intervention. Enfin le secteur C, soit 60 % de la superficie de la Cisjordanie, demeure sous le contrôle propre d’Israël, c’est-à-dire reste occupé. Ce découpage littéralement kafkaïen imposé par le gouvernement israélien est accepté par les Palestiniens parce que non définitif. 

N’empêche qu’un tabou est levé en Israël; ce qui déchaîne la droite contre Itzhak Rabin cosignataire d'Oslo. À la veille de son assassinat par un extrémiste religieux juif, le 5 novembre 1995, le premier ministre est violemment pris à partie dans les manifestations d’ultrasionistes, où son effigie est affublée du keffieh de son nouveau partenaire et de signes nazis (Rabin est sûrement une des premières victimes de ce qu’on appelle aujourd’hui « l’antisémitisme sioniste »). Après son assassinat, le processus d’Oslo est freiné. L'arrivée au pouvoir, en mai 1996, du Likoud, et du gouvernement de Benyamin Netanyahu opposé à Oslo, mais débouche quand même deux ans plus tard à Wye River, aux États-Unis, sur la signature d’un mémorandum établissant un nouveau calendrier pour les redéploiements prévus par l’accord Oslo II et jamais réalisés. (Le premier véritable accroc à l’esprit d’Oslo, c’est lorsque seul Ariel Sharon, ministre des Affaires étrangères lors des renégociations de Wye, refuse de serrer la main à Arafat qui a « du sang juif sur les mains »). La victoire du travailliste Ehoud Barak, en 1999, entraîne une nouvelle renégociation rééchelonnant les redéploiements jamais réalisés. Le 5 septembre 1999, Arafat signe à Charm el-Cheikh, en Égypte, avec le premier ministre israélien Barak un accord intérimaire ouvrant la voie à des négociations sur un règlement de paix final. Toutefois, les négociations sur le statut définitif des territoires occupés, entre Yasser Arafat, Bill Clinton et Ehoud Barak échouent en juillet 2000 à Camp David. Après l’impasse crée par l’échec de Camp David et après la Visite le 28 septembre 2000 de Ariel Sharon, dirigeant du Likoud, sur l'esplanade des Mosquées à Jérusalem, éclate de violents affrontements qui gagnent vite la Cisjordanie et la bande de Gaza. Ces événements marquent le début de la deuxième Intifada. Les dernières discussions israélo-palestiniennes se tiennent à Taba, en janvier 2001. Elles s'achèvent également sur un échec, car le statut de Jérusalem, le sort des colonies de peuplement de Cisjordanie, le droit au retour des réfugiés de 1948 et de 1967 n’y étaient pas inscrits. 

Pourtant les paramètres d’une paix israélo-palestinienne n’ont pas à être subitement découverts : ils sont depuis bien longtemps connus de tous. Les frontières de l’État palestinien doivent être situées aussi près que possible de la ligne verte, la ligne du cessez-le-feu entre 1948 et 1967; les éventuelles annexions israéliennes doivent justement compenser en superficie et en qualité; Jérusalem devra devenir une ville à souveraineté partagée, Jérusalem-Est constituant la capitale du nouvel État; enfin, le droit au retour des réfugiés doit être respecté, conformément à la résolution 198 du Conseil de sécurité, qu’Israël lui-même a accepté pour prix de son entrée à l’ONU, mais n’a jamais respecté. Sur ces points fondamentaux, rien n’indique que les Palestiniens aient changé de position. Les Israéliens avaient cru très naïvement que Yasser Arafat et les siens avaient vraiment renoncé à lutter, qu’ils étaient convaincus de la nécessité de se contenter de ce que les Israéliens seraient prêts à leur restituer alors que le compromis territorial portait déjà sur la renonciation palestinienne à la souveraineté sur 78 % du territoire de la Palestine mandataire. Il n’était pas envisageable pour Arafat de donner son accord à une situation d’apartheid parce que ça c’est ce qui existe, et il n’y a pas besoin de signer un accord final pour cela. Renforcer la situation d’apartheid et non pas la franchir et on a là non seulement un endossement des propositions de Camp David, mais aussi un retour à l’esprit d’avant le processus d’Oslo dans lequel Arafat retrouve en un instant dans l’opinion israélienne ses oripeaux du passé. Et cela commence à peine l'échec du sommet annoncé lorsque se propage la version de « l'offre généreuse de Barak » et « la non-volonté de paix d'Arafat ». Ehoud Barak enfonce le clou quand il dit : « nous n'avons plus de partenaire pour la paix », « j'ai dévoilé le vrai visage d'Arafat », etc. Cependant, ce n’est pas la première fois dans l’histoire du conflit israélo-palestinien où un accord général était à porter de main que les Israéliens l’ont consciemment, délibérément, détruit. Cette fois, ils s’en tiennent à leur position sioniste de nier, non pas seulement le droit au retour des réfugiés palestiniens de 1948 et de 1967, mais le fait d’un État palestinien sur 22 % de la Palestine.

En 2001 Ariel Sharon devient premier ministre et dès décembre 2001, après une série d’attentats-suicides palestiniens, il confine Yasser Arafat dans son QG détruit de Ramallah, encerclée par les forces israéliennes. En réponse à ces événements Arafat, dans un discours radio télévisé prononcé le 16 décembre 2001 à la télévision palestinienne : « Il appelle de nouveau à l’arrêt total de toutes les opérations, notamment les attaques-suicides que nous avons toujours condamnées et leurs commanditaires et planificateurs auront à répondre de leurs actes. Je réitère aujourd’hui la nécessité de mettre fin, totalement et immédiatement, à toutes les opérations armées [...]. Le gouvernement d’Ariel Sharon mène une guerre farouche contre l’Autorité palestinienne, ses institutions, ses installations, sa police, ses services de sécurité et ses infrastructures, ainsi que contre nos citoyens, nos propriétés, nos écoles, nos hôpitaux, nos champs, nos mosquées et nos églises. C’est une guerre contre le peuple palestinien, son Autorité, ses ressources et sa sécurité sociale et économique, ainsi que contre son rêve légitime de bâtir un avenir sans occupation, répression ni humiliation [...]. Israël prévoit de mener des agressions militaires, et un siège de nos villes et de nos camps de réfugiés, d’occuper nos territoires, se servant des attaques contre les civils israéliens comme prétexte - des actes que nous avons toujours condamnés [...]. Les négociations sont l’unique moyen de résoudre le conflit. Je renouvelle mon appel au peuple israélien, à ses forces politiques, à ses institutions et à son gouvernement pour un retour immédiat à la table des négociations. Nous ne demandons pas l’impossible et ne présentons pas un danger pour l’existence d’Israël. » Or l’échec de Camp David puis de Taba montre qu’une telle normalisation est plus malaisée pour les Israéliens, qui n’en veulent pas d’ailleurs. Ainsi, au fur et à mesure que Yasser Arafat fait les compromis nécessaires, Israël se trouve devant l’image inversée de sa propre rigidité. C'est placé Arafat dans une situation impossible que de prétendre lui faire accepter en même temps le principe d’une paix israélo-palestinienne et la poursuite d'une politique d'annexion par Israël de territoires palestiniens toujours plus étendus.

Reste que les Israéliens ont retiré cette légitimité à Arafat, acquise à Oslo, de négocier. Et cela n’a pas commencé à l’arrivée de Sharon au pouvoir, mais dès l’échec des négociations de Camp David quand il y a eu impasse tellement les propositions qui lui sont faites pour une solution « définitive » sont en deçà des accords d’Oslo. La position du duo israélo-américain étant : « si la direction palestinienne ne veut pas de notre offre il n’y aura pas d’accord ». (Une partie de l’offre généreuse a consisté à dire « on leur donne les 95 % »; sauf qu’il s’agissait des 95 % des 22 %). Dès ce moment-là, Arafat n’est plus reconnu comme un interlocuteur valable. D'ailleurs, Ehoud Barak ne se gêna pas pour affirmer : « Nous n'avons plus de partenaire pour la paix. » Mais l’objectif était clair : ne plus avoir d’interlocuteur et donc pas de présence internationale pour négocier, pas de démantèlement des colonies, pas d’évacuation des territoires occupés, pas de droit au retour. Aujourd’hui, il reste aux Palestiniens à peu près 12 % du territoire de la Palestine historique.

Constatant le recul, il se peut que l’un des buts des propositions de Camp David ait été de déconsidérer Yasser Arafat. L’accession au pouvoir en mars 2001, d’Ariel Sharon, accélère la tactique de pourrissement commencé à Camp David. George W. Bush décrit Ariel Sharon comme un homme de paix et refuse à son tour de recevoir Arafat. Les attentats du 11 septembre confortent Sharon dans sa vision tranchée et lui fournissent l’occasion de lancer son fameux slogan : « Nous aussi avons notre Ben Laden : Arafat ». Sous le gouvernement Sharon, tous les symboles de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie et à Gaza sont pratiquement détruits, et Arafat est déclaré « hors jeu » par ce dernier. Un crédo partagé par Washington, qui fait du départ de Yasser Arafat une condition préalable à la création d’un État palestinien indépendant. Ainsi, George Bush, dans une déclaration à la Maison Blanche le 24 juin 2002 dira : « J’appelle les Palestiniens à élire de nouveaux dirigeants qui ne soient pas compromis dans le terrorisme, [...] et quand les Palestiniens auront de nouveaux dirigeants, de nouvelles institutions et de nouveaux accords de sécurité avec leurs voisins, les États-Unis défendront la création d’un État palestinien ». Depuis les États-Unis ont annoncé qu’ils poseraient leur veto à l’admission pleine et entière d’un État de Palestine aux Nations unies. Cette déclaration est faite à la suite de la demande par Mahmoud Abbas nouveau président de l’Autorité palestinienne de la reconnaissance d’un État palestinien à l’ONU. La mauvaise foi des États-Unis est si grande qu’ils nous disent à la fois qu’ils défendront la reconnaissance d’un État palestinien, et y mettraient leur veto si cela devait arriver. 

Refuser la solution à deux États, cela signifie la poursuite de la colonisation des territoires occupés. Lors des « négociations » de Camp David, on avait demandé à Yasser Arafat d’accepter que les Palestiniens expulsés de Palestine en 1948 et 1967 ne retournent pas. Le duo israélo-américain était convaincu que ce dernier était prêts à vendre littéralement le droit au retour contre un État palestinien sur une partie de la Cisjordanie et la bande de Gaza (à peu près 17 % de la Palestine historique et sans Jérusalem-Est). Ce qu’Israël avec la complicité des États-Unis n’accepte pas, c’est préalablement le principe du droit, parce que si les Palestiniens ont droit au retour, ça veut dire qu’ils ont été injustement chassés et donc que l’État d’Israël est construit sur « une purification ethnique ». Enfin pas tout à fait puisque l’État hébreu contient une minorité d’au moins un million de Palestiniens qui sont citoyens israéliens. Leur présence à elle seule a permis de poser la question de la contradiction entre l’État juif et l’État démocratique, entre l’État sioniste et l’État de tous ses citoyens, question à l'avenir posée pour tout le monde. Par exemple, le Ministre des Affaires Étrangères, Avigdor Lieberman, dans une déclaration du 9 janvier 2012 disait : « Tout règlement futur avec les Palestiniens devra prendre en compte la question des Arabes israéliens [sic], sinon ce serait un suicide politique ». C’est-à-dire...? C’est sûr, un million de Palestiniens, ça ne peut pas ne pas avoir d’impact sur la conception de l’État d’Israël en tant qu’État juif à terme. Est-ce à cela qu’il voulait faire allusion? N’empêche que la question est posée jusqu’au risque de relancer la notion de la « purification ethnique ». 

Maintenant, le fait que l’on cherche a constitué un État-nation palestinien qui serait conçu comme le résultat d’une solution politique, d’un règlement pacifique, fera rejaillir sa légitimité sur tous les États nés de la division de la région au lendemain de la Première Guerre mondiale entre les mandats français et britanniques, Israël inclus. Sinon son échec ne serait que la victoire des forces aveugles de guerre (celles d’Israël, de l’OTAN, de divers mouvements islamiques, de certains pays arabes — ensemble, cela, c’est déjà vu, ou séparément —), indifférentes à la survie du peuple palestinien. Mais ce serait donc dans de telles circonstances qu’Israël, les États-Unis et même l’ensemble du monde n’auraient pas fini de déplorer les occasions perdues, y compris celles qui restent encore possibles aujourd’hui. Parmi celles-ci, il y aurait la réactualisation des accords d’Oslo suspendus par Israël unilatéralement. Et cette réactualisation commencerait d’abord par l’engagement clair d’Israël envers l’Autorité palestinienne au coeur de ces accords. En attendant le président et successeur de Yasser Arafat à la tête de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas est déterminé encore cette année en guise de compromis (voyez comme les Palestiniens restent ouverts) à demander le statut exceptionnel d’« État sous occupation non membre de l’ONU » en réponse à la menace du veto américain l’année précédente.  Si les États-Unis votent pour ou s’abstiennent, alors le sort du monde sera peut-être changé à jamais.