Philippe Couillard |
Couillard s’inscrit dans une continuité de l’histoire canadienne qui veut que les francophones s’assimilent. Il veut la dissolution des francophones comme groupe homogène avec l’interdiction de se donner pour unifiable ou intégrable. Dans son discours d’assermentation à l’Assemblée nationale du Québec (le 16 février 2014), ne disait-il pas : « J'ai rencontré des milliers de personnes venues d'ici et d'ailleurs qui partagent tous et toutes la même fierté, la nôtre, celle d'être des Québécois. Notre histoire, elle s'écrit depuis plus de 400 ans. Celle de ma famille a débuté par l'arrivée en Nouvelle-France de Guillaume Couillard en 1613. Mais rappelons-nous aujourd'hui une évidence : après les Premières Nations, nous sommes tous des gens venus d'ailleurs. Si la date de l'arrivée varie, il n'y a qu'un seul niveau de citoyenneté pour tous et chacun [sic]. » Mais où se situe ce niveau de citoyenneté, car étonnamment il fait fi des 400 ans d’histoire du Québec; de son ancêtre même, un colon qui était venu ici pour s’installer et non en transition comme d’autres Français venus en Nouvelle-France pour faire de l’argent et repartir dans la mère patrie. Il était là pour rester et fonder un nouveau pays, et pas une « Nouvelle-France » comme la suite, le confirmera. C’est dire que les Canadiens français et leurs descendants ayant participé à l’acte fondateur c’est-à-dire un « nous » historique représentant une communauté historique, une identité collective destinée à se reconnaître mutuellement à l’intérieur d’une frontière historique, n’était pas destinée à se percevoir comme membres d’une seule nation rassemblés de l’extérieur, à partir d’origines géographiques multiples comme dans les nations d’immigrations qui fait, c’est vrai, davantage penser au multiculturalisme canadien. Ainsi, si le multiculturalisme conditionne le Québec de façon en partie arbitraire, ce conditionnement acquiert au fil du temps des significations lourdes de conséquences pour l’identité collective québécoise. Dans le sens où la constitution du pays, du peuple, ne se fonderait plus sur une identité substantielle, mais sur un processus historique lequel ne peut se contenter de la description des conquêtes, des déplacements de population (pensons aux Acadiens), ou encore de la rencontre de milliers de personnes venues d'ici et d'ailleurs destinées à se percevoir comme membres d’une seule nation.
Ce processus historique national n’est donc pas celui de l’affirmation de l’unité, voire de l’homogénéité du peuple, en raison de son identité, mais celle de son unification, de la manière avec laquelle une multiplicité d’individus se constitue en un ensemble. C’est dire que la nation comme à la fois collection d’individus et individus collectifs, et en particulier la reconnaissance de la nation québécoise comme différente de la canadienne, est très faible sur le plan de l’idéologie nationale. D’autant plus que cette société des individus a trouvé sa forme politique dans l’organisation nationale définie par un territoire limité. Et Couillard assume parfaitement cette désidentification attachée aux « individus collectifs ». En effet, il n’y a aucune raison pour lui de s’attacher à une nation particulière plutôt qu’à une autre si elles se conçoivent l’une et l’autre comme composé d’individus, et où la liberté individuelle est tenue pour primordiale. Malgré cela ou à cause de cela, l’idée selon laquelle la responsabilité des modes de vie devrait pousser à l’unification politique du Québec et du Canada paraît difficile à défendre. En effet, s’il y avait à l’œuvre dans l’histoire humaine une dynamique irrépressible de fusion dès que les nations se sentiraient suffisamment proches par les croyances et les mœurs on aurait dû assister depuis longtemps non seulement à la fusion harmonieuse du Québec et du Canada, mais aussi à celle des États-Unis et du Canada.