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lundi 12 mai 2014

Le nationalisme extravagant de Philippe Couillard

Philippe Couillard
C’est animé par une détestation viscérale et un clivage électoral nauséabond, que le chef du Parti libéral, Philippe Couillard, amorçât la dernière campagne électorale. « Je déteste ce gouvernement », a-t-il affirmé. « Dehors ! Fini ! Terminé ce gouvernement qui détruit le Québec. » « Il faut débarrasser le Québec de ce gouvernement dangereux, toxique, incompétent », a-t-il continué. « Ça va faire ! Je suis tanné de ça », a ajouté le chef libéral. « Ça fait des décennies que ça dure au Québec. » On vous avoue qu’on ne comprend pas cette haine pour le parti fondé par René Lévesque. C’est lui qui a donné une forme politique à un vaste mouvement d’émancipation (et pas seulement des francophones) né dans la foulée de la Révolution tranquille en l’orientant autour de la construction d’un État (national) et de la souveraineté politique du peuple québécois. C’est donc contre ce projet noble d’un peuple qui veut en finir avec des situations de tutelle jugées illégitimes, que le chef libéral Philippe Couillard, devenu entre-temps premier ministre du Québec, emploie en effet le langage de la purge politique, et appelant à des mesures par un mot d’ordre très nationaliste canadien : « À bas les séparatistes! Et pour la purification du Québec! » Couillard est donc en position de décider qui déshonore ou non le Québec dans le Canada.

Couillard s’inscrit dans une continuité de l’histoire canadienne qui veut que les francophones s’assimilent. Il veut la dissolution des francophones comme groupe homogène avec l’interdiction de se donner pour unifiable ou intégrable. Dans son discours d’assermentation à l’Assemblée nationale du Québec (le 16 février 2014), ne disait-il pas : « J'ai rencontré des milliers de personnes venues d'ici et d'ailleurs qui partagent tous et toutes la même fierté, la nôtre, celle d'être des Québécois. Notre histoire, elle s'écrit depuis plus de 400 ans. Celle de ma famille a débuté par l'arrivée en Nouvelle-France de Guillaume Couillard en 1613. Mais rappelons-nous aujourd'hui une évidence : après les Premières Nations, nous sommes tous des gens venus d'ailleurs. Si la date de l'arrivée varie, il n'y a qu'un seul niveau de citoyenneté pour tous et chacun [sic]. » Mais où se situe ce niveau de citoyenneté, car étonnamment il fait fi des 400 ans d’histoire du Québec; de son ancêtre même, un colon qui était venu ici pour s’installer et non en transition comme d’autres Français venus en Nouvelle-France pour faire de l’argent et repartir dans la mère patrie. Il était là pour rester et fonder un nouveau pays, et pas une « Nouvelle-France » comme la suite, le confirmera. C’est dire que les Canadiens français et leurs descendants ayant participé à l’acte fondateur c’est-à-dire un « nous » historique représentant une communauté historique, une identité collective destinée à se reconnaître mutuellement à l’intérieur d’une frontière historique, n’était pas destinée à se percevoir comme membres d’une seule nation rassemblés de l’extérieur, à partir d’origines géographiques multiples comme dans les nations d’immigrations qui fait, c’est vrai, davantage penser au multiculturalisme canadien. Ainsi, si le multiculturalisme conditionne le Québec de façon en partie arbitraire, ce conditionnement acquiert au fil du temps des significations lourdes de conséquences pour l’identité collective québécoise. Dans le sens où la constitution du pays, du peuple, ne se fonderait plus sur une identité substantielle, mais sur un processus historique lequel ne peut se contenter de la description des conquêtes, des déplacements de population (pensons aux Acadiens), ou encore de la rencontre de milliers de personnes venues d'ici et d'ailleurs destinées à se percevoir comme membres d’une seule nation.

Ce processus historique national n’est donc pas celui de l’affirmation de l’unité, voire de l’homogénéité du peuple, en raison de son identité, mais celle de son unification, de la manière avec laquelle une multiplicité d’individus se constitue en un ensemble. C’est dire que la nation comme à la fois collection d’individus et individus collectifs, et en particulier la reconnaissance de la nation québécoise comme différente de la canadienne, est très faible sur le plan de l’idéologie nationale. D’autant plus que cette société des individus a trouvé sa forme politique dans l’organisation nationale définie par un territoire limité. Et Couillard assume parfaitement cette désidentification attachée aux « individus collectifs ». En effet, il n’y a aucune raison pour lui de s’attacher à une nation particulière plutôt qu’à une autre si elles se conçoivent l’une et l’autre comme composé d’individus, et où la liberté individuelle est tenue pour primordiale. Malgré cela ou à cause de cela, l’idée selon laquelle la responsabilité des modes de vie devrait pousser à l’unification politique du Québec et du Canada paraît difficile à défendre. En effet, s’il y avait à l’œuvre dans l’histoire humaine une dynamique irrépressible de fusion dès que les nations se sentiraient suffisamment proches par les croyances et les mœurs on aurait dû assister depuis longtemps non seulement à la fusion harmonieuse du Québec et du Canada, mais aussi à celle des États-Unis et du Canada.

On entend déjà les Canadiens pousser de hauts cris d’indignation et dire avec conviction : « Nous ne sommes pas comme eux ! » L’histoire nationale américaine ne peut que renchérir sur cette conviction des canadiens, mais aussi celle du Québec (anciennement le Bas-Canada) à l’image de Louis-Joseph Papineau républicain convaincu… D’ailleurs, cette histoire, c’est ce qui fait encore aujourd’hui du Québec une nation distincte de celle du Canada. Mais Couillard ne veut rien savoir d’une telle nation distincte, toutefois il dénonce « le multiculturalisme classique [sic], qui, malgré ses qualités, a un problème parce qu'il ne reconnaît pas l'existence unique, en Amérique du Nord, d'une majorité francophone », mais par ailleurs il se dépeint comme « un homme de principe qui luttera avec acharnement contre la tyrannie de la majorité  [francophone] ». « […] Et, plutôt que le multiculturalisme, nous choisissons plutôt l'interculturalisme comme modèle d'accueil et de vie commune, le ralliement de tous les Québécois et des Québécoises autour de ce qui fait véritablement et concrètement notre caractère spécifique, le français langue commune de nos espaces publics, notre culture si forte, si vivante, notre régime de droit civil. » Est-ce que l’Assemblée nationale est un de nos espaces publics ? On peut se poser la question, car son gouvernement a envoyé un message fort contradictoire lorsque Kathleen Weil, ministre de l’Immigration, — donc modèle pour le français langue commune — ainsi que plusieurs de ses confrères ont prêté serment « en bilingue » à l’Assemblée nationale. Mais cela n’empêche pas le premier ministre Philippe Couillard de continuer à tenir un discours officiel grandiloquent lorsqu'il exalte et pose comme un idéal le fait que  « notre caractère, notre société différente confèrent au gouvernement du Québec une responsabilité unique devant le Québec, le Canada et le monde ». Du même coup, c’est ce gouvernement qui porte fièrement en étendard le « nationalisme ostentatoire ».