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jeudi 6 juin 2013

La Chine capitaliste de Deng Xiaoping (partie 1)

« Le développement est la seule et unique vérité. » 
Deng Xiaoping


Dans un article récent de l’Agence France-Presse coiffé, au demeurant,  d’une accroche fallacieuse, car il était écrit : « Les inégalités sociales sont plus flagrantes au pays de Mao qu’à celui de l’oncle Sam »; alors qu’il aurait été plus juste d’écrire : « au pays de Deng Xiaoping ». Notamment pour avoir dit : « Il faut prélever les éléments positifs du capitalisme pour édifier le socialisme à la chinoise [sic]. » Aujourd’hui, on a donc le résultat « positif » sous la forme d’une mesure des inégalités des revenus connue sous le nom de coefficient de Gini dont la valeur 0,4, nous dit-on, est communément acceptée comme un seuil d’alerte (la valeur 0 représentant une égalité parfaite des revenus entre tous les citoyens tandis qu’une valeur 1 signifierait que tous les revenus dans un pays reviennent à une seule personne). Ainsi, dans un souci de transparence, le gouvernement chinois a publié le vendredi 18 janvier 2013 pour la première fois depuis plus de dix ans le dernier indice de Gini qui s’est élevé, en 2012 à 0,474, après avoir culminé à 0,491 en 2008, mais à l'époque non publié. « Ces données reflètent l’urgence pour notre pays d’accélérer la mise en oeuvre de notre projet de réforme de la distribution des revenus afin de réduire les disparités », a déclaré le directeur du Bureau national des Statistiques (BNS), Ma Jiantang, lors d'une conférence de presse. Pour comparaison, cette limite de 0,4 est dépassée notamment par les États-Unis (0,45 en 2007 après avoir été de 0,47 en 2006), la Thaïlande (0,536 en 2010) ou encore I'Afrique du Sud (0,65 en 2005) alors que d’autres pays comme la France avec un coefficient de Gini de 0,321 en 2008, I'Allemagne de 0,27 en 2006 ou le Japon avec un coefficient de 0,376 en 2008, sont sous la barre des 0,4. Au Canada, il se situe, toujours d'après l’AFP, à 0.396 (date non précisée). D’ailleurs, les données présentées par l’AFP sont difficilement comparables à cause des années qui ne sont pas les mêmes et des situations différentes selon les pays. Malgré tout, le coefficient de Gini est un outil puissant pour mesurer le degré d'inégalité dans la distribution des revenus même si, sa validité, son incontestabilité dépend directement de la qualité des données statistiques utilisées pour l'établir. Seulement voilà, il n'y a pas de normes internationales à ce sujet. 

Dans ces conditions pourquoi le gouvernement chinois tenait-il tant à publier son propre coefficient de Gini pour l’ensemble de la population chinoise? Pourquoi braquer les projecteurs sur les inégalités de revenus, sur un système capitaliste non redistributif et potentiellement créateur d’instabilité? Sûrement pas, dans le but de savoir si le pays de Deng est encore égalitaire au même titre que certains anciens pays du bloc de l’Est tel que la Hongrie qui en 2009 avait un indice Gini de 0,25, ou Cuba qui démontre l'évolution vers une plus grande égalité quand de 1953 à 1986 l’Île est passée de 0,55 à 0,22, ou découvrir le constat inverse comme aux États-Unis, où le coefficient de Gini est passé de 0,39 en 1967 (au plus fort du Welfare State) à 0,46 en 2000, puis 0,47 en 2006, mais plutôt pour répondre à la publication d’indices Gini « sauvages ». Par exemple, le Centre d'enquête et de recherche sur les revenus des ménages dépendant de la banque centrale chinoise avait pour sa part calculé pour 2010 un coefficient de 0,61, ce qui en ferait un des pays les plus inégalitaires du monde à égalité avec la Centrafrique (0,613) et au-dessus du Botswana (0,605). Interrogé par I'AFP sur la différence avec le chiffre officieI de 0,474, le directeur Gan Li du Centre a dit espérer « que le BNS rendra public l'ensemble de sa méthode d'enquête et des données collectées, afin que les gens puissent connaître la réalité de la situation en Chine ». Il convient donc, de s'assurer de l'objectivité, de l'origine de chaque indice Gini avant d'en tirer des conclusions hâtives.

Cela dit, ces faiblesses méthodologiques peuvent aussi bien aller dans un sens comme dans l’autre, mais n’empêchent pas une comparaison sur des bases semblables. Celui-ci, en mesurant le degré des inégalités de presque tous les pays de la planète sur une échelle commune allant de 0 à 1, donne en effet bien mieux que le PIB par habitant le bien-être économique d’une société. Il permet d’éviter les moyennes peu représentatives de la majeure partie de la population, à l’exemple du revenu moyen par habitant. Il n’est pas influencé par la richesse ou la taille du pays et permet donc des comparaisons et observations dans le temps. Ainsi, en Europe les trois pays les plus égalitaires seraient la Hongrie accompagnée de la Suède et de l’Autriche avec un coefficient Gini de 0,25, puis suivent deux autres pays du nord de l’Europe, la Finlande (0,26) et le Danemark (0,27). Mais, d’une manière générale, les inégalités se sont accrues dans les pays les plus égalitaires, à commencer par le Danemark, qui est passé de 0,24 en 2005 à 0,27 en 2009. D’autres pays comme la France (0,27 à 0,30), l’Allemagne (0,26 à 0,29), le Royaume-Uni et l’Espagne (0,32 à 0,34) sont aussi devenus plus inégalitaires. Néanmoins, avec une ampleur plus faible, si on les compare aux anciens pays du bloc de l’Est qui, de coefficients de Gini peu élevés (de 0,2 en montant) sous le socialisme, ont aujourd’hui des coefficients au-dessus de 0,3, comme la Pologne avec un coefficient de Gini de 0,31, la Bulgarie de 0,33, la Roumanie de 0,35 ou encore la Lettonie à 0,36. Ainsi, à travers ce prisme d’analyse, on constate que les inégalités de revenus auraient passablement augmenté au sein même des pays les plus égalitaires ce qui correspond à la période de la mise au pas néolibérale et de sa mondialisation. Aujourd’hui, les 1 % d’Américains les plus riches s’accaparent 20 % des revenus, quand les 50 % ayant les revenus les plus faibles n’en captent que 13 %. Des données qui dérangent aussi dans la Chine de Deng, où à l'heure actuelle, nous dit-on, même l'existence de milliardaires n'a plus rien d'extraordinaire. 

Est-ce à cela que, le porte-parole du Bureau national des Statistiques, Ma Jiantang faisait allusion quand il mentionnait que l’indice Gini élevé poussait son pays à « accélérer la mise en oeuvre du projet de réforme de la distribution des revenus afin de réduire les disparités »? Voulait-il dire que la Chine atteint le point où les gains économiques ne peuvent plus compenser les pertes en matière d’égalité sociale? La Chine de Deng Xiaoping découvre-t-elle subitement que le bien sociale ne peut être le fruit des préférences individuelles? Mais, c’est le même Deng qui avait pensé dans un autre temps qu’il était possible de traiter « les maladies socialistes » que par la propriété privée et le contrôle capitaliste d’État. Or, quand n’est-il aujourd’hui de la réponse au développement forcené du capitalisme chinois? Le gouvernement chinois pense-t-il que la régulation publique est le seul remède à la dérégulation, la privatisation, la flexibilité, la précarité, soit les éléments clés de l’économie néolibérale? Il est vrai que la régulation étatique fonctionne souvent comme le remède par défaut aux dysfonctionnements du capitalisme. On sait qu’à une époque pas si lointaine dans les pays occidentaux, c’est l’État-providence qui a fait figure de solution efficace pour une régulation du capitalisme relativement à l’inégalité économique et à l’accroissement des inégalités. Mais ce modèle de régulation par l’État a perdu toute son efficacité dans le passage d’une économie keynésienne à une économie néolibérale. Car l’État-providence est devenu néolibéral, et cela, au coeur même des pays scandinaves. Toutefois, quand l’échec du néolibéralisme devient évident plus ou moins les mêmes se tournent vers une forme de contrôle gouvernemental de l’économie (le retour vers le socialisme égalitaire étant exclu).

La question qu’on doit se poser, s’il n’est plus de mise de penser réellement à une réforme de nature keynésienne ou socialiste comme remèdes aux inégalités causés par le néolibéralisme et le capitalisme non réglementé. Que peut faire la Chine? Considérant que l’objectif affiché du gouvernement chinois est de promouvoir la réduction des disparités, et non plus la croissance du PIB. Quelques chiffres pour expliquer ces disparités en matière de croissance du PIB. La Chine occupe le deuxième rang mondial devant le Japon et derrière les États-Unis pour le produit intérieur brut nominal, mais le quatre-vingt-treizième rang pour le PIB par habitant alors que les États-Unis occupent le neuvième rang et le Japon, le seizième rang (liste 2010 du FMI). Avec un tel écart entre le PIB nominal et le PIB par habitant, on peut comprendre qu’en Chine la richesse s’accumule aux mains d’un petit nombre, ce qui accroît évidemment les inégalités sociales, et confirme que le néolibéralisme n’est pas à même de fournir un schéma qui stimule et organise la production de richesse pour l’ensemble de la société. Par exemple, de 1997 à 2007 la part du revenu des ménages dans la répartition du revenu national a diminué de plus de 10 %, passant de 68 % à 57,5 %. Ce qui rejoint en tout point un des fameux slogans de Deng : « Il faut permettre à certains de s’enrichir avant les autres. » Et d’aucuns s’enrichirent manifestement avant les autres. En mars 2013 le magazine Forbes dressait la liste des quatre-vingt-dix-neuf milliardaires chinois sans compter les trente-huit milliardaires de Hong Kong qui ont leur propre liste. C’est dans ce contexte désormais que doit être resitué un autre célèbre slogan de Deng : « Devenir riches est glorieux! » Il s’ensuit que la richesse, selon cette conception, ne peut prétendre profiter à l’ensemble de la société. 

A contrario, le type de distribution encourageant la croissance de la richesse commune existe depuis plus de quatre-vingts ans dans les pays scandinaves. Ce qui se reflète dans leur classement du PIB par habitant. Ainsi, les trois pays scandinaves, la Suède, la Norvège, et le Danemark se classent respectivement au niveau du PIB mondial au vingt et unième rang pour la Suède, au vingt-cinquième rang pour la Norvège et au trente-deuxième rang pour le Danemark. Par contre, au niveau du PIB (nominal) par habitant, c’est là que le modèle social-démocrate prend tout son sens, car la Norvège se classe au deuxième rang, le Danemark au sixième rang et la Suède au huitième rang (liste 2010 du FMI). On voit bien que non seulement la distribution de richesse n’empêche pas d’en créer, mais au contraire y contribue; elle augmente le bien-être économique total d’une société. Du reste, le rapprochement des 2 PIB confirme qu’aucun pays développé n’est d’abord devenu riche avant de redistribuer les fruits de son essor, à l’exemple du New Deal aux États-Unis. En effet, la création de richesses ne se fait pas que par la hausse constante du PIB, mais aussi par un développement des services publics et des droits sociaux. Mais si la régulation — la relation positive entre la richesse et son partage — de l’économie par l’État a pu malgré le néolibéralisme rester fonctionnelle dans les pays scandinaves, c’est que cette régulation étatique ne met pas fin à la subordination de l’État à l’économie et ne modifie pas le fait que les services relèvent de l’économie monétaire et du marché. Cependant, ce type d’État-providence a tenté de limiter le caractère marchand des services en prenant en charge en partie ou complètement l’accessibilité pour tous (riches comme pauvres) à ces services, éducation et santé notamment, mais aussi par des droits sociaux comme les lois du travail, l’assurance-emploi, les pensions de retraite, etc. Toutefois, que l’État, dans le capitalisme, fournisse aux plus pauvres comme aux plus riches des services relativement égaux, qui leur permettent de ne pas avoir à utiliser leurs revenus pour les obtenir, ne modifie pas le fait que ceux-ci soient créateurs de richesses, puisqu’ils sont monétarisés. Au final, avec un PIB même inférieur, un pays, qui distribue davantage ses richesses, fournira à ses citoyens davantage de bien-être et deviendra plus riche (collectivement) qu’une société qui partage moins. CQFD. Donc, la croissance de la richesse à venir en Chine passera-t-elle par un transfert des richesses glorieuses vers les ménages?